Fonder une cellule familiale, avoir des enfants. Cela ne semble plus tout à fait évident au Japon. Zoom Japon a enquêté.
Etre parent au Japon aujourd’hui, qu’est ce que cela veut dire ? Voici la question que nous avons souhaité poser à plusieurs familles japonaises lors de nos rencontres avec elles. Estiment-elles que les difficultés rencontrées par les jeunes parents japonais sont plus grandes aujourd’hui que pour les générations qui les ont précédées ? Ou au contraire, quels sont les aspects qui semblent faciliter leurs vies en comparaison à autrefois ? Dans ce pays en manque de jeunesse, où les femmes accouchent peu depuis les années 70, que fait-on pour donner envie aux Japonais, de fonder des familles ? Deux ans après le tremblement de terre du 11 mars 2011, le contexte a-t-il également changé la donne ?
L’archipel connaît ses plus faibles taux de croissance démographique depuis 1920. Soit une moyenne d’environ 0, 20 %. S’il poursuit sur ce rythme, le Japon qui compte actuellement 130 millions d’habitants environ devra s’attendre à ce que sa population se réduise de moitié d’ici à 2100. Au 1er janvier 2012, le Japon comptait 8, 39 naissances pour 1000 habitants. Un taux qui classe le pays à la 216ème place de la démographie mondiale. Avec 1, 37 enfant par femme, dont une moyenne de 1, 06 à Tôkyô, le chiffre est bien inférieur au seuil de renouvellement des générations qui est de 2, 1.
En janvier 2012, une étude menée à l’Institut national des études démographiques soulignait le caractère dramatique et urgent de cette dénatalité. Du fait de ce manque de naissances, les personnes âgées de plus de 65 ans devraient passer de 23 à 40 % du total de la population tandis que le nombre de jeunes va être divisé par deux passant de 13 à 9 % du total d’ici 2060. Cette situation menace le système de santé japonais. De moins en moins d’actifs sont disponibles pour soutenir un nombre de personnes âgées en constante augmentation.
Les raisons de cette hémorragie ? Une société qui change, qui évolue. Des femmes qui s’émancipent et qui ont envie d’étudier et de travailler avant de se projeter dans le mariage et la maternité. Car au Japon, il est encore difficile de concilier les deux. Si les mentalités ont évolué sur ce point depuis les années 1990, traditionnellement, une femme qui devient mère n’a plus vraiment sa place dans l’entreprise japonaise. C’est également à elle de gérer les soucis de garde. Le manque cruel d’infrastructures s’avère être une difficulté supplémentaire pour les mères au moment de la reprise du travail, après le congé maternité.
Autre changement de taille. Aujourd’hui, les Japonais se marient de plus en plus tard. Or, peu d’enfants sont conçus hors mariage au Japon. Seuls 3 % des bébés sont dans ce cas au Japon, contre plus de 50 % en France et près de 40 % aux Etats-Unis. Financièrement, les enfants sont aussi un frein à un certain confort matériel, car les frais liés à la grossesse et à l’éducation sont très élevés. Enfin, parmi les familles que nous avons rencontrées, certaines confessent une peur et des inquiétudes à fonder une famille dans un climat économique incertain. Les chiffres montrent que sur l’année 2011, celle du tremblement de terre, la population a chuté à un rythme sans précédent depuis le début des recensements
annuels, soit depuis les années 50.
Avec 1,37 enfant par femme, on est loin des 2,1 indispensables
Afin d’essayer de comprendre la situation, Zoom Japon est allé à la rencontre de quatre japonaises : Kuromoto Kana, Ida Tomoko, Watanabe Junko et Kusano Mie. Ces mamans ont accepté de nous raconter leurs histoires, leurs expériences de la maternité dans le contexte de la société japonaise actuelle à travers leurs difficultés, leur bonheur et leurs craintes.
“Nous devons reconnaître que le gouvernement nous encourage vivement à faire des enfants, expliquent Ida Tomoko et son mari André. Nous bénéficions, par exemple pour notre fils, du kodomo teate, une aide financière de 15 000 yens [121 euros] par mois que nous percevrons jusqu’aux 15 ans de Lukas.” Les parents japonais touchent une prime de 42 000 yens au moment de la naissance de l’enfant, l’allocation du kodomo teate diminue au fur et à mesure que l’enfant grandit. Elle est de 15 000 yens jusqu’à 3 ans, puis de 10 000 jusqu’au 15 ans de l’enfant. Dans les années 70, cette aide ne s’élevait qu’à 3 000 yens par enfant.
Mais cela reste “une goutte d’eau en comparaison des frais de garde engendrés par les amplitudes horaires des parents salariés”, assure Kuromoto Kana. “Les crèches ferment à 19 heures au plus tard. Après il n’y a pas de solution si nos parents n’habitent pas dans la même ville que nous, ajoute IDA Tomoko. Je travaille à temps plein dans l’industrie du textile. Il m’arrive régulièrement de terminer mon travail à 21h ou 22h. Il faut que je m’organise pour la prise en charge de Lukas après l’heure de la fermeture de la crèche.” Son mari, André, qui travaille dans l’informatique, finit rarement avant minuit ou 1 heure du matin. Dans ce couple, comme dans beaucoup d’autres au Japon, celle qui doit jongler avec les horaires et être rentrée à temps pour les enfants, c’est souvent la mère. Avec les traditions, le culte du père au travail demeure.
Il n’empêche que les mentalités évoluent. “Moi, je m’estime tout de même chanceuse, reconnaît Kuromoto Kana. Mon mari m’aide pour tout à la maison. Les couches, le bain, les promenades. Cela ne se passait pas comme ça au Japon avant.” Les médias nippons ont appelé ces hommes qui travaillent mais qui aident aussi au quotidien de leurs familles les ikumen. Depuis quelques années, cette nouvelle génération d’hommes qui prend part activement à la vie de leurs enfants au sein du foyer a le vent en poupe. Le gouvernement encourage même largement ces initiatives en proposant des séminaires à ces papas en mal de temps avec leurs progénitures. Depuis 2008, le congé paternité peut être proposé aux pères qui le souhaitent.
De son côté, Watanabe Junko a un avis bien tranché sur la question. Elle pense que la dénatalité du Japon est avant tout un problème d’éducation des hommes nippons alors qu’ils sont enfants. Elle a préféré choisir un mari d’origine étrangère. En 2008, 37 000 Japonais se sont mariés à des étrangers, soit huit fois plus que quarante ans auparavant “Je trouve que les hommes japonais d’aujourd’hui se reconnaissent beaucoup dans la génération des Sôshoku kei danshi. Les hommes sont plus féminins, attendent que les femmes viennent les chercher. Les Japonais veulent plus profiter de la vie, prendre moins de responsabilités. Les femmes, quant à elles, gagnent en indépendance : elles n’ont plus besoin des hommes sur le plan financier. Elles ont plus de pouvoir.”
Enfin, la dernière personne que nous avons rencontrée, Kusano Mie, n’a jamais porté d’enfants à proprement parler. Mais nous avons tenu à lui donner la parole, car c’est en quelque sorte la “maman de cœur” de ce dossier. Cette femme, originaire de Fukushima, a senti la fibre maternelle résonner en elle quand se sont déroulés les événements de mars 2011. Elle a donc quitté les Etats-Unis où elle vivait avec son mari pour rejoindre sa région natale et aider les enfants déracinés de leur maison ou de leur ville, du mieux qu’elle le peut. A son échelle et avec beaucoup d’inquiétude concernant l’avenir au Japon. “A mon avis, la peur de la contamination va s’ajouter aux soucis financiers que les jeunes familles japonaises rencontrent”, affirme-t-elle.
Toutes ces mamans ont vécu leurs expériences de la maternité pendant ou juste après les événements de mars 2011. Un contexte qui revient dans toutes les bouches au fur et à mesure que ces dernières narrent le récit de leur vie. Une expérience qu’elles ont toutes vécue de manières très différentes et qu’elles sont prêtes à raconter. Voici leurs histoires.
Johann Fleuri