Il y a très exactement vingt ans, Muriel Jolivet, sociologue et fine observatrice de l’évolution des mœurs dans l’archipel publiait un remarquable ouvrage intitulé Un pays en mal d’enfants : Crise de la maternité au Japon [éd. La Découverte]. Ce livre de référence était d’autant plus pertinent à l’époque qu’il faisait écho à une prise de conscience dans l’archipel de cette situation catastrophique. Dans la presse japonaise, la publication du taux de natalité symbolique de 1,5 enfant par femme cette année-là a fait l’effet d’une bombe. On a alors commencé à parler du “choc démographique” comme on parlait vingt ans plus tôt du “choc Nixon” lorsque le président américain avait décidé de suspendre l’indexation du dollar sur l’or. S’appuyant sur un travail d’enquête et de nombreux entretiens, Muriel Jolivet avait mis en évidence les causes de cette situation inquiétante. La chute de la natalité montrait que les jeunes femmes japonaises, qui sont parmi les plus instruites du monde, avaient de plus en plus de mal à accepter les conditions dans lesquelles on leur demande toujours de vivre leur mariage et leur maternité. Les jeunes mariées redoutaient la perte du travail habituellement liée à la grossesse, puis la solitude et l’isolement liés à la naissance. Elles vivaient mal le “spleen de la carrière interrompue” lorsqu’elles se sentaient obligées de quitter leur emploi pour s’occuper de leur enfant. Les autres, celles qui choisissaient de poursuivre leur carrière après l’accouchement étaient souvent accusées de délaisser leur enfant. Du fait du conformisme ambiant, la femme qui travaille est volontiers soupçonnée d’être “égoïste”. Elle apportait notamment le témoignage d’une jeune femme, productrice d’émissions télévisées. “C’est encore plus de responsabilités. Si j’avais un enfant, il faudrait que je l’élève. Je voudrais développer ma créativité mais cela implique de ne pas avoir d’enfant. Cette manière de parler peut paraître égoïste, mais de plus en plus de femmes peuvent travailler et de plus en plus de femmes veulent s’occuper d’elles-mêmes plutôt que d’élever un enfant. Je n’ai plus le temps de penser à l’avenir, sauf celui le plus proche. Depuis que la crise a éclaté, on ne fait que penser au lendemain. On est dans un monde qui ne croit plus en l’avenir”, confiait-elle alors à la sociologue.
Malgré la mise en évidence de ces facteurs et la reconnaissance de leur existence, rien n’a vraiment changé dans l’archipel. Le taux de natalité a continué à baisser, annonçant des lendemains qui déchantent pour l’ensemble du pays. Pourtant, plusieurs enquêtes d’opinion montrent qu’il existe un désir d’enfants. Selon une étude réalisée en 2009 par le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, 90 % des hommes et des femmes célibataires japonais souhaitent se marier et les couples désirent avoir deux enfants en moyenne. Alors pourquoi ne passent-ils pas à l’acte ? Cette question maintes fois posée n’a toujours pas de réponse. Est-ce toujours cette absence de croyance en l’avenir qui arrête les Japonais dans leurs projets familiaux ? Sans doute, car les entreprises ont fait des efforts pour s’adapter à la maternité de leurs employées. Les pouvoirs publics ont également décidé de prendre le taureau par les cornes. Les effets de ces décisions ne seront visibles qu’à long terme. Mais lors d’un récent voyage au Japon, l’auteur de ces quelques lignes a été surpris par le nombre de jeunes couples, se promenant avec leur enfant en très bas âge. Le début du changement ?
Odaira Namihei