Le 13 mars sort en salles l’excellent documentaire de Jill Coulon consacré à l’univers des lutteurs. A ne pas manquer.
Originaire d’Asahikawa, à Hokkaidô, Ogushi Takuya est un lycéen comme les autres, du moins en apparence. Le jeune homme, comme bon nombre de ses camarades, se projette dans l’avenir. Athlétique, il rêve de devenir judoka, mais son père en décide autrement. A 18 ans au Japon, on n’est toujours pas majeur et la parole du paternel a son importance d’autant plus que Takuya n’a plus sa mère et que sa sœur aînée a déjà quitté le foyer. “Il n’y a plus de place pour toi à la maison”, lui dit son père remarié, en le poussant à intégrer une écurie de sumo. L’honneur de la famille est en jeu et il ajoute : “Ne t’avise pas à échouer”. Takuya s’embarque alors pour un long voyage qui va le conduire à Tôkyô où il doit rejoindre l’écurie Ôshima Beya dont l’entraîneur vient lui aussi d’Asahikawa. Du jour au lendemain, une énorme responsabilité s’abat sur les épaules de Takuya qui a non seulement pour mission de devenir lutteur de sumo mais surtout de ne pas déshonorer le nom de sa famille. Dès les premières scènes du film de Jill Coulon, le spectateur peut sentir la pression qui s’exerce autour de Takuya qui n’a pas d’autre alternative que d’accepter de relever ce défi incroyable. C’est d’ailleurs toute la qualité de ce documentaire qui mise sur le parcours du jeune homme, sa capacité à s’adapter à sa nouvelle vie dans un environnement qui n’a plus rien à voir avec ce qu’il connaissait à Asahikawa, ville tranquille au cœur de Hokkaidô. On aurait pu tomber sur un film classique destiné à présenter le sumo à un public d’Occidentaux curieux de voir “ces combats de types obèses aux chignons gominés” comme les avaient présentés un certain Nicolas Sarkozy en 2004, un film bourré de clichés et de stéréotypes sur le Japon idéalisé ou rêvé en Occident. Bien au contraire, Jill Coulon propose un documentaire éblouissant de vérité et plein de sensibilité sur cet univers si particulier. La rencontre avec Takuya n’est bien sûr pas étrangère à cette réussite cinématographique dans la mesure où le jeune homme ne correspond en rien au lutteur de sumo ordinaire. D’une part, il n’a pas choisi lui-même d’en devenir un. D’autre part, il est loin d’avoir le physique de l’emploi. Pour remplir la mission que lui a confiée son père, il va devoir faire preuve de persévérance. C’est d’ailleurs le sens du sous-titre du film qui apparaît sur l’affiche sous la forme des deux caractères chinois shinbô (persévérance). Il s’agit là d’un énorme défi pour le jeune homme qui se retrouve confronté à un monde où les règles sont totalement différentes de la vie ordinaire. Jill Coulon a suivi avec sa caméra cette initiation difficile au sein d’une structure très hiérarchisée où la parole est quasi absente. La performance de la réalisatrice est de mettre le spectateur dans une position privilégiée pour observer le fonctionnement de l’écurie sans pour autant que cela s’apparente à du voyeurisme. Les différents protagonistes ont fini par oublier la présence de la caméra, ce qui contribue à les humaniser davantage. On comprend mieux ainsi les difficultés que Takuya doit surmonter pour devenir un lutteur digne de ce nom. On a parfois tendance à s’identifier à lui et à saisir ces moments de doute qui le traversent. La confiance qui s’est aussi installée entre la cinéaste et le jeune lutteur renforce aussi la cohésion du propos. Elle a permis à Jill Coulon d’échapper aux classiques interviews que l’on retrouve souvent dans ce genre de film pour se concentrer sur l’observation. La réalisatrice est en quelque sorte la petite souris que l’on évoque lorsqu’on souhaite accéder à un endroit qui nous est interdit. Elle préfère parler de journal intime auquel elle a pu avoir accès. Le sumo devient alors un prétexte pour appréhender le passage de l’adolescence à l’âge adulte. On ne peut donc que recommander d’aller voir en famille Tu seras sumo, surtout si ses enfants sont des adolescents. Le film n’apporte pas de réponse aux questions liées à ce moment si particulier de la vie, mais il témoigne avec sensibilité et subtilité de la façon dont on peut les aborder. Une belle histoire à laquelle on se sent rapidement partie prenante. Une jolie réussite pour Jill Coulon et assurément une des belles surprises de ce début d’année. C’est en tout cas le coup de cœur de Zoom Japon. En salles le 13 mars 2013.
Gabriel Bernard
Référence :
Tu seras sumo (Shinbô) de Jill Coulon. 83 mn. Produit par Thomas Balmès, Patrick Winocour et Ryota Kotani. www.tuserassumo-lefilm.com