Pour cet ancien élève de Miyamoto Tsuneichi, il est indispensable de continuer à soutenir le travail des artisans.
Située dans une ruelle du vieux Kamakura, la boutique de Kuno Keiichi ressemble de prime abord à un musée. Poteries finement ciselées, service à thé en céramique, paniers moyennageux et teintures à l’indigo sont disposés tout le long d’une grande pièce traditionnelle en bois éclairée par un jardin. Pourtant, le propriétaire se défend bien de présenter de simples objets d’art. Pour cet amoureux du mingei, ces pièces collectées dans tout le Japon ont un usage journalier et sont à vendre comme n’importe quelle assiette ou bol à thé que l’on trouverait dans un grand magasin. Il évoque le respect que lui inspirent ces objets dont les valeurs fondamentales sont la simplicité et l’honnêteté.
Comment avez-vous découvert le mingei ?
K. K. : Quand j’étais étudiant à l’Université des arts de Musashino, j’avais un fameux professeur d’éthnographie, Miyamoto Tsuneichi. Son enseignement portait sur les minorités japonaises. Cela m’a donné envie de parcourir le Japon et c’est ainsi que j’ai découvert le mingei. Cela fait maintenant 40 ans que j’ai ouvert cette boutique pour promouvoir cette forme d’artisanat.
Quelle est la différence entre le mingei et les autres formes d’artisanat ?
K. K. : L’orientation est différente. Un artisan de mingei fabrique des objets utilitaires alors que la plupart des artisans de nos jours créent des pièces pour les exposer. Ils les signent de leur nom pour se faire connaître. Le prix et l’objectif de confection sont totalement différents. Une pièce de mingei est sans marque. Elle ne porte aucun nom, si ce n’est celui de la région où elle a été produite.
Comment expliquez–vous que les artisans se sont éloignés de l’aspect utilitaire de l’artisanat ?
K. K. : Il y a moins d’acheteurs. On peut dire qu’un pourcentage très minime de Japonais utilisent des objets mingei. Du coup, les artisans se transforment en artistes. Cela leur permet de mieux valoriser leur travail. C’est un métier difficile de nos jours, mais il reste encore des artisans mingei dans tout l’archipel. En tout cas, je suis le seul à Kamakura à disposer d’une boutique qui propose des produits mingei.
Est-ce que, par exemple, les forgerons entrent dans la catégorie du mingei ?
K. K. : A la base, les forgerons travaillaient des lames de sabre, d’une finition extraordinaire. Avec l’abolition du port d’arme, ils se sont reconvertis dans la fabrication des hôchô, les fameux couteaux de cuisine. Ce sont en effet des ustensiles de la vie quotidienne, mais il s’agit de techniques spéciales pour les objets tranchants qui n’entrent pas dans le mouvement du mingei. Eux-mêmes ne se considérent pas membres de ce mouvement. Il faut rappeler que le mingei rassemble des gens qui n’aiment pas les lames ni le sang. C’est un mouvement pacifiste !
Quelle est la particularité du mingei japonais par rapport aux autres artisanats traditionnels dans le monde ?
K. K. : Le Japon a quatre saisons bien marquées et un climat très humide. Le bois et les autres matériaux naturels utilisés dans le mingei reflètent ces particularités. Ensuite, il y a les caractéristiques régionales qui ont été développée depuis le XVIIème siècle par les artisans de l’époque. Ils se sont efforcés de créer des œuvres originales faisant apparaître les spécificités locales. Celles-ci ont été ensuite reprises par les artisans mingei. La France regorge de vignobles qui ont chacun leurs spécificités. De la même manière, l’artisanat japonais dispose de motifs et de couleurs qui varient selon les terroirs. La redynamisation de l’agriculture compte aussi beaucoup dans la fabrication de nouveaux ustensiles inspirés du mingei. Cette diversité régionale a toujours été préservée. C’est ce qui fonde, à mon sens, l’originalité de l’art populaire nippon.
Peut-on dire que l’artisanat traditionnel japonais a influencé le développement de la technologie made in Japan telle qu’on la connaît dans le monde entier ?
K. K. : Je pense que oui. Le savoir–faire et les techniques de pointe telles qu’elles existent encore maintenant étaient déjà visibles il y a 1 200 ans. Dans d’autres pays, le changement de pouvoir a entraîné de grands bouleversements au niveau des populations. Au Japon, même si le gouvernement change, les gens restent les mêmes. C’est peut-être pour cette raison que les techniques anciennes ont pu être transmises jusqu’à nos jours.
Quel est la valeur essentielle à laquelle s’attache un artisan de mingei ?
K. K. : La transmission. Par exemple, un bon artisan ne va pas changer un objet qui a été fait et refait identiquement pendant des générations. Il va le transmettre à son tour tel quel sans y apporter une modification ou une amélioration. Cette volonté de ne pas interrompre le processus de transmission d’un objet déjà achevé est très importante chez les artisans se réclamant du mouvement mingei.
Existe t-il beaucoup de copies ou de contrefaçons ?
K. K. : Ce ne sont pas vraiment des contrefaçons. Il s’agît plutôt d’imitations fabriquées en Chine, mais aussi au Japon. Leur objectif est une commercialisation de masse. Ces objets sont bien sûr moins chers. L’une de mes fonctions consiste à les différencier des pièces authentiques mingei.
Est-ce qu’un amateur peut reconnaître tout de suite la provenance d’une pièce mingei ?
K. K. : Oui, chaque région a des motifs particuliers qui permettent de les distinguer si on les connaît. Les poteries de la préfecture d’Oita ont un design qui reprennent un motif en vogue depuis 50 ans. Les céramiques d’Okinawa ou de Kagoshima se reconnaissent par leur couleur bleue.
La définition du mingei a la particularité d’être à la fois large et très restreinte. Sait-on vraiment ce que cela recouvre au Japon ?
K. K. : Non, très peu de gens savent en vérité ce qu’est le mingei. L’authentique produit mingei est très rare de nos jours. Les objets du quotidien sont presque toujours fabriqués en usine, car c’est moins cher. Cependant, il reste toujours des gens qui s’attachent à transmettre le savoir-faire traditionnel et je suis là pour les soutenir.
Propos recueillis par
Alissa Descotes-Toyosaki
Pour s’y rendre :
moyai kôgei 2-1-10 Sasuke, 248-0017 Kamakura
De 10 h à 16 h 30 (fermé le mardi).
Tél. 0467-22-1822 – www.moyaikogei.jp