En plein cœur du Japon, dans la préfecture de Gifu, ce hameau permet un voyage dans le temps pour le moins étonnant.
Exemples de gasshô-zukuri que l’on rencontre au cours de sa promenade dans ce village fier de son caractère si particulier © Gabriel Bernard
Bruno Taut, architecte allemand, a vécu plusieurs années au Japon avant la Seconde Guerre mondiale, passant son temps à parcourir l’archipel à la découverte de l’architecture locale dont il était tombé amoureux. Parmi les nombreux ouvrages et articles qu’il lui a consacrés, figure Maisons et peuple du Japon, livre qui, plus de 70 ans après sa parution, reste l’une des références en la matière. Dans cette publication très illustrée, il a mis en évidence l’existence des gasshô-zukuri, maisons au toit très pentu de Shirakawagô, situé au cœur de la préfecture de Gifu, dont la conception n’a pas d’équivalent dans le reste du pays. Leur immense toit, dont la forme rappelle des mains en prière, est en chaume. A la différence de la plupart des édifices qu’il a rencontrés pendant ses périples, Bruno Taut soulignait que les maisons de Shirakawagô lui rappelaient une architecture primitive, celle des huttes. Mais dans le même temps, il montrait son admiration pour la qualité de ces structures immenses parfaitement équilibrées. Il rappelait aussi qu’aucun clou n’était utilisé dans leur construction, mais qu’on avait recouru à des cordes pour assurer la bonne tenue des différents éléments de la structure. Lors de son passage et sur les photographies qu’il a prises du hameau, les maisons étaient peu nombreuses et éparpillées. La plupart de celles que l’on peut voir ont été déplacées au cours des années à l’occasion de la construction du barrage de Miboro qui menaçait de submerger plusieurs hameaux de la région. Rassemblées au même endroit, elles sont devenues au fil des années un lieu de pèlerinage pour des millions de touristes japonais qui viennent s’extasier devant leur beauté brute dans une vallée encaissée dont les montagnes environnantes laissent sans voix. Depuis son classement au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco en 1995, Shirakawagô attire aussi de nombreux touristes étrangers. Sur 1,8 million de visiteurs, on recense environ 100 000 étrangers, les Européens ne représentant qu’à peine 3 % de ce chiffre encore modeste, mais qui devrait augmenter sensiblement au fil des années. Les autorités locales sont en effet très désireuses de promouvoir ce site hors du commun et impressionnant.
Sa situation géographique a obligé les paysans à s’adapter à la rudesse du climat, en pratiquant la culture de céréales sur de courtes durées et surtout l’élevage de vers à soie. La promenade que l’on peut faire dans le hameau permet de saisir l’économie locale. La plupart des maisons se trouvent sur des lots individuels séparés par des parcelles de terre cultivées. Les limites sont marquées par des rues, des canaux d’irrigation ou des parcelles cultivées. Beaucoup de lots sont occupés par de petits édifices en bois, servant à stocker les récoltes. La balade est très agréable au milieu de ce paysage ouvert et de ses maisons qui restent habitées. Certaines d’entre elles sont ouvertes au public qui peut ainsi découvrir de l’intérieur ces constructions qui ont enchanté Bruno Taut. Les familles Wada et Kanda ouvrent ainsi leurs demeures pour la modeste somme de 300 yens [2,6 euros]. Situées au cœur du village, ces deux bâtisses permettent de se faire une idée assez précise des conditions de vie très difficiles auxquelles les habitants devaient faire face il y a encore quelques décennies. A l’entrée, on trouve un foyer dont la fonction première n’était pas vraiment de chauffer l’immense maison, mais de renforcer la solidité des cordages noués autour des poteaux qui structurent la maison. Avec le temps, les plafonds et les planchers ont pris une teinte très foncée du fait de la suie produite par le foyer. L’autre mission de ce foyer était le séchage des cocons des vers à soie que l’on plaçait à l’étage sur des panneaux percés de trous pour que la chaleur du foyer se propage plus facilement. Dans les étages, on expose désormais les objets et les outils utilisés pour l’agriculture, la sériculture ou l’entretien des maisons, en particulier du toit de chaume. Celui-ci est refait à neuf tous les 30 ans et nécessite plusieurs semaines de travail. L’accueil des habitants est particulièrement chaleureux. Conscients de l’importance de leur patrimoine et de la nécessité de le mettre en valeur auprès des visiteurs, ils n’hésitent pas à prendre un peu de leur temps pour expliquer la vie quotidienne, notamment au moment de l’hiver quand le village est quasiment coupé du reste du Japon en raison des quantités incroyables de neige qui y tombent.
Aujourd’hui, l’hiver ne fait plus peur et c’est même particulièrement agréable de visiter le village lorsque la neige est de la partie. Il y a un côté magique indéniable. Néanmoins, le printemps et l’automne demeurent les saisons les plus agréables, en raison de la clémence des températures, mais aussi des paysages colorés liés à ces deux moments de l’année. Outre les maisons, Shirakawagô abrite le joli temple Myôzen bâti au début du XIXème siècle dans le style gasshô. Si l’on dispose d’un peu de temps, il est recommandé de passer la nuit dans l’un des nombreux gîtes mis à la disposition des voyageurs. A une petite dizaine de minutes de la gare routière, le gîte Hisamatsu dispose de 4 chambres. La maison de pur style local est charmante au même titre que les hôtes. Ces derniers servent un excellent repas composé notamment du fameux bœuf de Hida (aussi célèbre que le bœuf de Kôbe). Il vous en coûtera 7 700 yens la nuit, dîner et petit déjeuner compris. Après avoir passé la journée à déambuler, on y passe une excellente nuit. Ne partez pas sans avoir goûté le fameux hôba miso, un morceau de bœuf de Hida déposé sur du miso et une feuille de magnolia que l’on fait chauffer. Un moment inoubliable pour votre palais. Et peut-être, comme Bruno Taut, vous vous souviendrez encore longtemps de votre passage dans ce lieu où le temps semble s’être arrêté.
Gabriel Bernard
Pratique :
S’y rendre Isolé, le seul moyen pour s’y rendre est la route. Plusieurs lignes de bus desservent Shirakawagô. Au départ de Takayama, la compagnie Nôhi bus propose 9 départs quotidiens (4 300 yens l’aller-retour). Il faut compter 50 minutes de trajet. www.nouhibus.co.jp/english/. Des lignes existent également au départ de Kanazawa (Nôhi bus, tél. 0577-32-1688, 1h15 de trajet) et de Nagoya (Gifu bus, tél. 058-240-0489, 2h50 de trajet).