De plus en plus de longs métrages sont adaptés de manga. Qu’en pensez-vous ?
Nakano Haruyuki : En 2009, on a recensé 35 films dont les scénarios ont été tirés de manga. En 2010, il y en aura plus d’une quarantaine. Au Japon, un manga publié dans un magazine devient d’abord un dessin animé pour la télévision ou un téléfilm. Si les audiences sont bonnes, on envisage alors une adaptation cinématographique. Tel était le circuit de production habituel. Pour les auteurs et les éditeurs, l’adaptation d’une œuvre au cinéma ou à la télévision présentait de nombreux avantages, notamment celui de favoriser les ventes des ouvrages et celles du magazine dans lequel elle était parue. Pour les chaînes de télévision et le monde du cinéma, les atouts étaient aussi importants. Non seulement une adaptation à succès était une bonne publicité, mais elle permettait de transformer des lecteurs en spectateurs, ce qui n’était pas négligeable. Cependant, au cours des dernières années, la multiplication des adaptations cinématographiques et télévisuelles n’assure plus de bonnes ventes pour les livres. Par ailleurs, les audiences ne sont plus au rendez-vous. Par exemple, en 2006, 60 % des programmes de nuit étaient constitués par des dessins animés. Actuellement, ces derniers ne représentent plus que 20 % de cette programmation, car leur audience stagne. En définitive, si les films et les dessins animés adaptés de manga ne sont pas intéressants, les fans de ces bandes dessinées ne les regarderont pas. En tant que contenu commercial, le manga dispose d’un énorme potentiel. Il existe de très nombreuses œuvres qui peuvent connaître le succès une fois adaptées à la télévision ou au cinéma. Comme on ne décrète pas la réussite d’une production en s’appuyant seulement sur la promotion, je pense qu’il faut avoir l’envie de produire des œuvres de qualité que ce soit pour la télévision ou le cinéma.
Pourquoi le secteur du manga ne met pas le holà ?
N. H. : Comme je le disais précédemment, personne ne s’y oppose, car on pense que l’adaptation cinématographique se traduit par un accroissement des ventes de livres et de magazines. A l’instar de Kôdansha ou de Shôgakukan, les grands éditeurs japonais continuent à investir dans les adaptations de manga. Pour les auteurs, c’est aussi intéressant en raison des droits qu’ils perçoivent en plus. Toutefois, selon les pratiques commerciales japonaises, si un manga est adapté au cinéma, les droits du mangaka se réduisent au versement d’un droit d’utilisation de l’œuvre et c’est tout. L’auteur ne recevra rien d’autre. Parmi les mangaka, certains pensent que cela n’a guère d’intérêt sinon de favoriser un peu les ventes grâce à la publicité faite autour du film. Mais dans le cas où un film adapté d’un manga n’a aucun effet sur les ventes, les mangaka ont tendance à remettre en cause le système.
Parmi les longs métrages tirés de manga, quel est votre préféré ?
N. H. : Le Château de Cagliostro (1979) de Miyazaki Hayao. Il a su utiliser avec brio la trame du manga et c’est une œuvre dont la finition ne peut décevoir ni le fan de l’œuvre originale ni l’amateur de dessins animés. Au lieu de se contenter de transposer le manga d’origine, Miyazaki a réalisé une œuvre qui le dépasse grâce à l’histoire et aux techniques propres au cinéma d’animation. Comme le montre cet exemple, je crois que l’on peut se passer de faire une adaptation cinématographiqe d’un manga à partir du moment où l’on n’est pas en mesure de faire ressortir l’intérêt de l’œuvre originale ou si l’adaptation ne peut rien apporter de plus que le manga original.
On dit que le manga est en crise. Si on compare sa situation à celle du cinéma, est-elle pire ?
N. H. : Le secteur du manga n’est pas en crise. Tant qu’on continue à publier de bonnes œuvres, on ne peut pas parler de crise. Quelque 12 000 nouveaux titres de manga ont été édités en 2009. C’est vrai que la diffusion baisse, mais le problème est surtout celui des éditeurs. D’après moi, c’est le cinéma qui est plutôt en crise. Comme le montre cette tendance à multiplier les adaptations de manga ou de séries télévisées, le cinéma a perdu, au cours des dernières années, sa capacité à créer des œuvres originales. C’est cela qui est inquiétant.
Propos recueillis par Gabriel Bernard