La production d’anime est loin d’être une sinécure. En témoignent les vicissitudes du projet Genocidal Organ.
Dur dur de travailler dans le secteur de l’animation. Alors qu’elle enregistre actuellement beaucoup de succès à la fois au Japon et à l’étranger, de nombreux studios d’anime ne semblent pas beaucoup profiter de la situation. Il n’est pas facile d’enchaîner les succès en ayant de petits budgets, et dans un contexte où la plupart des studios ont du mal à s’aligner sur les conditions commerciales dures et faire face à une concurrence féroce. Quelques-uns finissent par disparaître pour de bon.
C’est ce qui est arrivé à Manglobe qui, en septembre dernier, a fait faillite avec des pertes d’environ 550 millions de yens. À l’époque, le studio de Tôkyô travaillait sur Genocidal Organ, adaptation du célèbre roman de science-fiction de Project Itoh [en France, on peut lire son roman Harmonie paru en 2013 chez Panini Books]. Genocidal Organ faisait partie de la trilogie Project Itoh. Tandis que les deux premiers films ont été sortis à temps (par d’autres studios), ce dernier a été repoussé sine die. En fin de compte, il a été sauvé par le nouveau studio Geno Studio de Yamamoto Kôji. Celui-ci a été, pendant de nombreuses années, le producteur du célèbre programme noitaminA sur Fuji TV avant de se mettre à son compte et de lancer Twin Engine en 2014. Zoom Japon l’a rencontré en marge du Festival international du film de Tôkyô où Genocidal Organ a été projeté en avant-première.
Comment êtes-vous devenu producteur de Genocidal Organ ?
Yamamoto Kôji : Tout a commencé, il y a plusieurs années, alors que je travaillais toujours à Fuji TV. Lors d’une réunion, nous avons décidé d’acheter les droits du livre de Projet Itoh. Cependant, une autre société détenait les droits, et nous devions attendre jusqu’à leur expiration. Puis l’année dernière, j’ai entendu parler des problèmes de Manglobe et quand ils ont fait faillite, j’ai décidé d’intervenir.
J’ai entendu dire que Geno Studio a été créé dans le but spécifique de réaliser ce projet.
Y. K. : C’est exact. Au début, j’ai essayé d’intéresser d’autres studios à ce film, mais personne ne voulait y toucher. Je pensais que recommencer à zéro aurait pris trop de temps, mais il est également vrai que reprendre un projet à mi-parcours de la production est très difficile parce que vous devez faire le tri dans le matériel préexistant. Donc personne n’était intéressé à poursuivre le travail de Manglobe. Finalement, j’ai créé Geno Studio. Au début, nous avons envisagé de nous limiter à ce projet ponctuel, mais finalement nous avons décidé que nous voulions aller au-delà de Genocidal Organ, ce film devenant la première étape d’une plus grande aventure. Nous sommes déjà à l’œuvre sur deux nouvelles séries d’anime.
Genocidal Organ est la dernière partie d’une trilogie consacrée aux romans de Projet Itoh – les deux premiers étant Harmony (disponible en DVD et Blu-Ray chez @Anime) et The Empire of Corpses (disponible en DVD et Blu-Ray chez @Anime). Projet Itoh (de son vrai nom Itô Satoshi) était très célèbre au Japon comme auteur de science-fiction. Pourquoi pensez-vous que ses livres sont si intéressants ?
Y. K. : L’œuvre de Projet Itoh est toujours pleine de surprises. Ses histoires et la façon dont il les raconte sont tout à fait uniques et jamais prévisibles. Il aime séduire et tromper ses lecteurs. Nous ne nous sentons jamais à l’aise et nous nous demandons toujours ce qui nous attend. Je pense que c’est sa force.
Par rapport à d’autres anime de science-fiction, qu’est-ce qui rend Genocidal Organ si particulier ?
Y. K. : Le cadre dans lequel se déroulent de nombreux films de science-fiction est souvent incroyable. Il nous projette très loin dans le futur et pour les apprécier, nous devons faire preuve d’imagination. Genocidal Organ se déroule dans un proche avenir. En outre, c’est une histoire crédible racontée de manière très réaliste. Cela permet au spectateur d’établir une connexion plus forte avec l’histoire et de se concentrer sur les personnages.
Le film a été réalisé par Murase Shukô, connu pour être l’animateur ou le réalisateur de plusieurs séries de Gundam. Il a aussi contribué à New Mobile Report Gundam Wing. Comment a-t-il travaillé sur ce film ?
Y. K. : Je crois sincèrement que Murase Shukô est l’un des trois meilleurs réalisateurs d’anime du Japon. La plupart des gens excellent dans un seul emploi, qu’il s’agisse de dessins, du travail de la caméra, etc. Mais lui, il maîtrise le tout, très bien, y compris l’écriture du scénario et la création d’images numériques.
Manglobe a disparu à cause de ses dettes. Comment est-ce arrivé ?
Y. K. : La production d’anime est basée sur l’exploitation déficitaire. Le système permet aux entreprises d’emprunter de l’argent et de faire des dettes. Geno Studio a été créé de la même manière. D’un côté, cela permet aux studios de faire de nouveaux films et de nouvelles séries, mais de l’autre côté, ils sont constamment mis dans une position dangereuse. En octobre, par exemple, un certain nombre de séries télévisées n’ont pas été diffusées parce qu’elles n’avaient pas été terminées à temps. Dans le cas de Manglobe, beaucoup de choses ont mal tourné en même temps pendant un moment particulièrement défavorable pour l’industrie de l’anime. Depuis plusieurs années, par exemple, le marché à l’exportation ne se porte pas très bien. Il y a eu une tendance négative, surtout si on compare à l’époque où des titres comme Dragon Ball et même Samurai Champloo de Manglobe sont sortis. Dans un sens, Manglobe a été particulièrement malchanceux. S’il avait réussi à résister un peu plus longtemps, il aurait probablement survécu.
Manglobe était particulièrement célèbre pour ses histoires originales. Toutefois, certaines de ces séries ne sont pas très bien passées sur le marché, ce qui a eu une incidence sur le destin de l’entreprise. Ergo Proxy, par exemple, était plus populaire à l’étranger qu’au Japon alors que Samurai Flamenco a été un flop.
Y. K. : Ha ha ha ! Oui, j’ai participé à certaines de ces productions dont Samurai Flamenco.
Est-ce vraiment si risqué de produire un anime original dans l’environnement commercial actuel ?
Y. K. : Oui. C’est même très dangereux.
Il est vrai aussi que les studios n’ont pas beaucoup à gagner avec les adaptations de manga.
Y. K. : C’est exact, mais il est certainement plus facile de travailler sur une histoire adaptée d’un manga. (rires) Tout d’abord, il existe déjà une base de fans qui est susceptible de regarder votre anime. Vous avez également une histoire prête à être travaillée et des visuels pour vous inspirer. Ce genre de projets est toujours mené à son terme. Mais quand vous faites un film original ou une série, vous vous déplacez dans l’obscurité, ne sachant jamais quelle direction vous devriez emprunter. Et surtout vous n’êtes jamais sûr du moment où votre travail sera terminé. Cela dit, au Studio Geno, nous prévoyons de faire nos propres histoires originales.
Selon le rapport annuel de l’industrie de l’animation sorti en septembre, l’animation japonaise est de plus en plus populaire dans le monde entier et le marché des anime semble être en plein essor. Pourtant, de nombreux studios luttent constamment pour survivre. Parmi d’autres questions actuellement discutées, il semble qu’il y ait beaucoup trop d’œuvres réalisées chaque année et qu’il n’y ait pas assez d’animateurs pour travailler sur chacune d’elles. En outre, les animateurs ne sont pas assez payés. Que pensez-vous de cela ?
Y. K. : Vous avez raison sur le manque d’animateurs. Quand vous recensez les nouvelles séries, les anciennes qui continuent d’être alimentées et les autres projets, je pense qu’environ 70 anime sont produits chaque année. Je ne peux pas tous les regarder. Personne ne le peut d’ailleurs ! Je suis sûr que la plupart des fans finissent par choisir quelques séries à regarder et abandonnent les autres. Du point de vue de la production, cela représente certainement beaucoup de travail et les animateurs disponibles se répartissent sur tous ces différents projets. Ce n’est pas une situation idéale. En ce qui concerne les bas salaires des animateurs, il est indéniablement vrai que beaucoup sont en difficulté. D’autre part, il y a quelques animateurs qui travaillent sur 3 ou 4 projets en même temps et sont très bien payés. Donc, la situation n’est pas aussi mauvaise que certains voudraient vous le faire croire. Evidemment être pigiste vous place dans une situation de précarité, de sorte que la meilleure chose à faire, chaque fois que c’est possible, est d’embaucher des animateurs à temps plein.
Avant de lancer votre société de production Twin Engine, vous avez produit pour le très populaire programme noitaminA sur Fuji TV. Pourquoi avez-vous quitté la chaîne et comment votre emploi actuel diffère-t-il du passé ?
Y. K. : Après avoir travaillé pendant de nombreuses années à produire des séries d’anime pour la télévision, j’avais envie de faire quelque chose de différent. Certes, d’un point de vue commercial, démarrer un nouveau studio avec un long-métrage constitue un risque en raison de tout le travail et de l’argent que cela implique. Chaque fois que vous commencez quelque chose comme cela, vos comptes plongent dans le rouge. Mais c’était un risque que j’avais envie de prendre. Donc, en un sens, la faillite de Manglobe est venue au bon moment (rires) et je suis très heureux d’avoir relevé le défi. En ce qui concerne la comparaison de ces deux environnements de travail, je dirais qu’ils ne diffèrent pas vraiment beaucoup. Probablement la plus grande différence est que chez Twin Engine je reçois beaucoup d’idées et de propositions que je n’avais pas à noitaminA, y compris de l’étranger.
En parlant de cela, vous avez tweeté, le 30 septembre : “Je savais déjà que diriger un studio d’anime était difficile. Maintenant je me rends compte que c’est encore plus dur que je ne le pensais. Heureusement, j’ai rassemblé une bonne équipe pour que tout se passe bien. Je ne peux pas compter sur les gens qui désertent dès que les choses deviennent difficiles”.
Y. K. : Ha ha ha ! Vous lisez donc mes tweets ! Oui, j’avoue que j’étais très naïf quand j’ai commencé mon studio. Chaque fois, c’est comme mettre sa vie en jeu. Dans le même temps, j’aime faire de l’anime. Donc j’assume. Le problème est que les gens quittent le navire tout le temps. Il s’agit d’un environnement de travail soumis à de fortes pressions et pour en faire partie, vous devez être en mesure de résister à cette pression et de garder la route que vous vous êtes tracée même quand les choses dérapent. Mais trop de gens se lancent dans ce travail sans se rendre compte à quel point il est difficile. Ils prennent rapidement peur et jettent l’éponge. Je ne peux pas travailler avec de telles personnes. Quoi qu’il en soit les gens de Geno Studio n’ont pas encore abandonné le navire. De ce point de vue, je me considère comme chanceux. (rires)
Propos recueillis par J. D.