Depuis 45 ans, les Matsuyanagi exploitent cet établissement à Yotsuya. Un lieu qui connaît un regain de fréquentation. L a première fois que je suis entrée dans ce bain, je me suis fait engueuler par certains clients. “Faites attention, vous mettez trop d'eau froide !” Du haut de ses 1,50 m, une vieille dame toute plissée m’a regardée avec les sourcils froncés. C'est une habituée du Wakaba-yu, “les eaux chaudes de Wakaba”, et elle tient à son bain à température ambiante : 45 degrés. Situés en bas d'une côte abrupte bordée de temples, ce sentô et sa mosaique de chevaliers n'ont pas changé depuis 45 ans. Les coutumes non plus. En cette fin d'après-midi, c’est une pléiade de septuagenaires qui s'astique lentement. Les règles sont strictes. Il faut d'abord se laver à l'extérieur du bain avant d'y entrer. A l'aide d'une serviette de toilette de 80 cm x 30 cm, elles se frottent une fois voire deux ou trois fois, rentrent dans le bain et ressortent pour se laver les cheveux, se poncer les pieds, s'appliquer des masques et se replonger dans l'eau brûlante... Les Japonais et leur amour du bain ne sont plus à décrire : se laver, c'est nettoyer les soucis de la journée et la première chose que fera une épouse japonaise, c'est de préparer un bain à son mari quand il rentre du travail. Même si les logements sont devenus plus petits et qu'il n'y a souvent plus qu'une douche dans les appartements, il reste les sentô pour pouvoir se prélasser tout son soûl. “Autrefois, le quartier était habité par des jeunes femmes très belles qui travaillaient à Ginza, dans les snacks et les bars. Elles venaient au sentô. Il y avait aussi beaucoup d'artistes, des gens du show-biz. Mais eux, c'était des gens riches, ils ne venaient pas ici !” A l'entrée du sentô, Matsuyanagi Taeko est assise à la caisse, dans son fauteuil surélevé qui a pignon sur rue. A sa gauche, l'entrée pour les hommes, à droite celle des femmes. Il faut d'abord se déchausser, ranger ses chaussures dans un casier fermé avec une clé en bois, puis payer 450 yens [3,30 euros]. “En l'an 22 de l’ère Shôwa (1947), le prix du sentô était de 1 yen !” se souvient Ichirô, son mari. Le prix des sentô de Tôkyô est fixé par la mairie, qui gère aussi tous les litiges. Endroit convivial fréquenté par les gens du quartier, le sentô n'est pas exempt de disputes. “Ça tourne essentiellement autour de la température de l'eau !”, confirme Taeko. “Il y en a qui aiment l'eau moins chaude, les autres veulent de l'eau presque brûlante. Ça provoque des tensions parfois !” Il paraît qu'ils ont dû un jour appeler la police pour une bagarre chez les hommes, entre un Coréen et un Japonais. Le Coréen avait mis trop d'eau froide dans le bain. “Les coréens n'aiment que les bains tièdes, mais ça ne fait pas l'avis général”, commente Ichirô. Le vieil homme se charge tous les matins de couper le bois pour chauffer l'eau. Située derrière le bâtiment, la...