C’est l’été. Dans l’Archipel, c’est la saison où l’on ne compte plus les matsuri. Du nord au sud, le pays danse, chante et défile.
Solitude —
après le feu d’artifice
une étoile filante
Masaoka Shiki, l’un des grands poètes de l’instant, nous indique dans ce haïku (poème court) que nous sommes en été et qu’en cette période les Japonais se divertissent, en assistant notamment à des feux d’artifice (hanabi) qui embrasent les cieux de l’Archipel. Dans la seule région de Tokyo, on dénombre plus de 150 rendez-vous pyrotechniques qui nous rappellent que les Japonais figurent parmi les grands maîtres de la spécialité. A Tokyo, anciennement Edo, les feux d’artifice appartiennent à cette culture du plaisir et de la fête qui caractérise la cité au faîte de sa prospérité et de sa population d’un million d’âmes au milieu du XVIIIe siècle. La rivière Sumida et ses grands ponts qui la traversent se sont imposés avec le temps comme les principaux lieux de détente à l’instar de Ryôgokubashi (pont de Ryôgoku) qui devint le plus célèbre sakariba (quartier fréquenté) d’Edo et qui, depuis 1733, accueille chaque année l’un des plus importants feux d’artifice du pays avec environ 20 000 projectiles tirés en un peu moins de 90 minutes. C’est le 6 août 1613 que le premier feu d’artifice aurait été tiré au Japon devant Togukawa Ieyasu, le grand shôgun fondateur du Japon moderne, lors de sa rencontre avérée avec un commerçant anglais John Salis venu lui remettre une lettre du roi d’Angleterre, James Ier. Après cette date, les grands seigneurs vont se sentir obligés de rivaliser entre eux pour organiser des feux d’artifice dans leurs régions respectives, attirant une foule de curieux chaque fois plus importante d’autant que le troisième shôgun Togukawa Iemitsu, grand amateur de feux d’artifice, encouragea leur développement. Symboles de pouvoir et de richesse, les feux d’artifice devinrent aussi un instrument religieux lorsque le shôgun Togukawa Yoshimune en fit tirer un en 1733 pour faire fuir les mauvais esprits responsables, selon lui, de la famine et de l’épidémie de choléra dont le Japon avait été victime l’année précédente.
Bien avant que les feux d’artifice ne prennent une dimension religieuse, il existait dans tout le pays des fêtes et des rites qui mobilisaient la population. Celle-ci participait, en fonction des saisons, à ces rassemblements destinés à s’attirer les bonnes grâces des dieux ou à chasser les esprits chagrins. Dans les régions rizicoles, il s’agissait de pratiques purificatoires grâce auxquelles la croissance du riz et la récolte seraient bonnes. Si ces principes gouvernent encore les grands rendez-vous de l’année, ils ont pris un caractère festif et commercial plus prononcé au fil des ans puisqu’aujourd’hui la technologie suffit bien souvent à garantir la qualité et la quantité des récoltes. Ces fêtes demeurent néanmoins très populaires. Pour le seul feu d’artifice de la Sumida à Tokyo, pas moins d’un million de personnes se rassemble chaque année pour admirer les prouesses pyrotechniques des artificiers nippons. Mais bien souvent, il ne s’agit pas simplement de regarder. La population locale et les gens de passage sont invités à participer. Ainsi à Gujô (voir p. 26), tout le monde est invité à entrer dans la danse de Gujô (Gujô odori). A Goshogawara, préfecture d’Aomori (voir notre carte p. 24), tout au long de l’année, les habitants rassemblés en petits comités préparent les géants de papier (Tachi neputa), certains mesurent plus de 20 mètres de haut, que l’on promènera dans les rues de la ville début août pour célébrer les retrouvailles de deux étoiles, mais aussi pour éloigner les esprits malveillants et les épidémies. La fête de Gion (Gion matsuri) relève de la même volonté. Fondée au Xe siècle à Kyoto sur ordre impérial après les ravages liés à la propagation d’une maladie contagieuse, elle avait pour but d’apaiser les revenants dont le mécontentement est à l’origine des catastrophes sanitaires. Chaque année, ce rendez-vous est célébré avec ferveur. Il mobilise encore la population et des centaines de milliers de touristes. Ils viennent assister aux parades colorées au cours desquelles l’eau joue un rôle très important dans la mesure où elle est l’instrument essentiel du processus de purification qui lave et emporte au loin les maladies, les mauvais esprits et les souillures. C’est pourquoi de nombreuses fêtes se déroulent au bord de l’eau ou sur les rivières avec des bateaux décorés de lanternes comme à Tsushima ou à Osaka (voir notre carte ci-dessous). Des milliers de fêtes se déroulent dans tout le pays chaque été. Chacune d’entre elles mérite qu’on s’y rende tant l’atmosphère qui y règne est chaleureuse et sympathique. Mais l’esprit festif ne se limite pas à la période estivale. Tout au long de l’année, il existe d’autres moments tout aussi intenses où l’on découvre une autre facette du Japon. C’est en cela que les traditions ont du bon.
Gabriel Bernard
Pour en savoir plus
En 1980, Laurence Caillet, auteur du remarquable ouvrage La Maison Yamazaki (éd. Plon, coll. Terre humaine, 1991), a publié Fêtes et rites des quatre saisons au Japon (éd. POF, coll. La Bibliothèque japonaise). Longtemps épuisé, ce document formidablea été réédité en 2002, permettant à tous les curieux du folklore nippon de s’immerger au plus profond dans la culture japonaise.