Deux éditeurs bien inspirés nous offrent la possibilité de plonger dans un Japon loin de toutes les idées reçues.
Il y a bien des façons de raconter sa vie. On peut le faire en remplissant des pages et des pages de texte grâce auxquelles les lecteurs découvrent dans le détail les petits et grands moments de l’existence de tel ou tel personnage public. On peut aussi à l’instar d’un Tezuka Osamu ou d’un Tatsumi Yoshihiro le faire en dessinant. Si le premier des deux noms cités est le plus connu grâce à ses personnages qui ont fait le tour du monde (Astro le petit robot ou le Roi Léo pour ne parler que des plus célèbres), son autobiographie graphique parue en plusieurs volumes, il y a quelques années, chez Casterman vaut tout de même le détour. Le second reste largement méconnu de la grande majorité des amateurs de manga en France. Pourtant il a été l’un des premiers auteurs traduits en français à la fin des années 1970. Tout comme Tezuka Osamu dont il a apprécié l’approche révolutionnaire de la bande dessinée, Tatsumi Yoshihiro a joué un rôle considérable dans l’histoire du manga, en imposant dans le courant des années 1960 un nouveau genre : le gekiga. Les éditions Cornélius qui ont publié une bonne partie de l’œuvre de Tatsumi proposent le premier volet de son autobiographie graphique intitulée Une Vie dans les marges. Ce travail considérable est un témoignage des plus intéressants non seulement sur la vie de cet artiste, mais sur sa perception du monde et la manière dont son approche du manga a évolué au fil des années. Comme le rappelle justement dans l’introduction Asakawa Mitsuhiro, éditeur et historien du gekiga, l’œuvre de Tatsumi que l’on a souvent opposée à celle de Tezuka n’est en fait qu’une adaptation du manga alternatif qu’avait réussi à inventer avant tout le monde le créateur d’Astro le petit robot au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui va les distinguer dans un premier temps, c’est la thématique abordée dans leurs histoires. A la différence de Tezuka, l’auteur de L’Enfer s’imprègne du réel pour imaginer des histoires souvent sombres qui illustrent le Japon tel qu’il est vécu par une grande partie de la population. Ce réalisme sans fioriture est parfois dérangeant, mais il a inspiré à son tour bien d’autres mangaka qui ont apporté leur propre interprétation.
Lars Martinson n’est pas Japonais, mais à sa manière il fait du gekiga, en choisissant lui aussi de raconter son expérience au pays du Soleil-levant dans un très bel ouvrage que l’éditeur de Poitiers, Le Lézard Noir, publiera fin mai. Tônoharu, c’est son titre, rapporte l’histoire d’un Américain, assistant d’anglais dans un collège de province à Kyûshû, qui découvre la vie japonaise loin de toutes les images d’Epinal véhiculées ici et là. Ce qui est particulièrement appréciable dans ce récit, c’est le refus de porter un jugement sur ce qui est bien ou non dans l’archipel. Voilà qui tranche avec la plupart des expériences rapportées ces dernières années dans la littérature ou au cinéma. Lars Martinson insiste plutôt sur la réalité du Japon — son souci du détail dans le dessin en est la meilleure preuve — et laisse au lecteur le soin de tirer des conclusions sur la vie qu’y mène son personnage principal. Une façon originale de découvrir l’archipel ou du moins un petit coin paumé et une lecture obligatoire pour toutes celles et tous ceux qui rêvent de s’installer au Japon dans l’espoir d’y retrouver l’univers merveilleux qu’ils se sont imaginé depuis des années.
Gabriel Bernard
Références :
Une vie dans les marges de Tatsumi Yoshihiro, trad. de Victoria Tomoko Okada et Nathalie Bougon, coll. Pierre, éd. Cornélius, 33 €.
www.cornelius.fr
Tonoharu de Lars Martinson, trad. de l’anglais par Anne Cavarroc, éd. Le Lézard Noir, 23 €.
www.lezardnoir.org