Un récent sondage a montré qu’une large partie des Japonais doutait des informations concernant la situation à la centrale de Fukushima Dai-ichi. Quel est votre sentiment à cet égard ?
Sotooka Hidetoshi : La règle principale dans la divulgation de l’information est d’assurer la précision, la clarté et la rapidité. Si l’on n’y parvient pas, l’information perd de sa crédibilité. Cela peut alors donner lieu à des rumeurs ou des mensonges qui, à leur tour, ouvrent le chemin à la panique. En ce qui concerne la centrale de Fukushima, entre le séisme du 11 mars et l’explosion au niveau du réacteur n°1 le 12 mars vers 15h30, aucune information n’a été divulguée. La première conférence de presse n’a eu lieu qu’à 18h ce jour-là. On peut dire que les explications données pour justifier ce silence n’ont guère convaincu. Comme beaucoup d’autres, je pense qu’il est difficile d’apprécier les informations fournies lorsque Tepco, l’Agence de sécurité nucléaire et le secrétaire général du gouvernement organisent des conférences de presse distinctes. Concernant l’évacuation des zones autour de la centrale, je crois que les gens n’ont pas su ce qu’il fallait faire lorsque le secrétaire général du gouvernement a confondu l’idée de directive qui impose un certain comportement et le principe d’agir en fonction de sa propre appréciation. Le besoin de précision est donc important, mais il est vrai qu’il permet souvent de dissimuler le manque de préparation et cela contribue à mettre en péril la transparence et la rapidité de l’information. En l’absence d’informations, on peut se retrouver dans des situations comme celle qui a prévalu après que l’ambassade des Etats-Unis a demandé à ses ressortissants d’évacuer les zones situées à 80 kilomètres de la centrale. Cela a contribué à favoriser des rumeurs selon lesquelles “le gouvernement japonais nous cacherait la vérité”. De la même façon, le classement de l’accident selon l’échelle internationale des incidents nucléaires (INES) est une bonne illustration du problème. Le 15 mars, un institut américain a expliqué que la situation à la centrale de Fukushima était “proche du niveau 6”. Pourtant, trois jours plus tard, l’Agence de sécurité nucléaire a décidé de la classer au niveau 5 avant de la faire passer le 12 avril au niveau 7. Cette décision a donné l’impression que les autorités japonaises ne savaient pas où elles en étaient alors que ce choix est extrêmement important pour évaluer l’ampleur de l’accident.
Pourquoi les grands médias japonais n’ont pas enquêté dans les zones situées autour de la centrale de Fukushima ?
S. H. : Chaque entreprise de presse a ses principes en matière de reportage. Pour aller enquêter dans les zones contaminées, les journalistes devaient être équipés de combinaisons et de matériels de mesure. Je pense que cela a demandé un peu de temps pour qu’ils s’équipent. J’ajoute que depuis la mi-avril, avec le début des recherches entreprises par les autorités préfectorales dans les zones contaminées, les journaux publient des reportages réalisés sur place.
L’accident de Fukushima a ébranlé la confiance que les Japonais pouvaient avoir à l’égard du nucléaire. Pensez-vous que cela puisse favoriser l’ouverture d’un débat sur une sortie du nucléaire ?
S. H. : Comme beaucoup d’autres, je pense qu’il n’y a pas d’autres voies que de sortir du nucléaire depuis que cette catastrophe naturelle a remis en cause le “mythe de sécurité”. Il faut dans un premier temps arrêter de façon progressive les centrales qui représentent un danger important tout en cherchant des énergies de remplacement. Je pense aussi qu’il faut réduire notre consommation d’énergie. Pour y parvenir, il va falloir mettre en place un consensus, ce qui constitue un des objectifs les plus importants pour notre société à l’avenir. Je suis persuadé que nous y parviendrons compte tenu du caractère des Japonais qui ont surmonté la défaite de 1945 et le choc pétrolier des années 1970.
Propos recueillis par Gabriel Bernard