Dans la zone d’évacuation autour de la centrale accidentée, la population a de plus en plus de mal à croire en l’avenir.
Dans la voiture, le compteur Geiger se met à sonner. De 2,5 microsieverts, le dosimètre affiche 6,3, puis 17, redescend à 11, et grimpe en flèche jusqu’à 49. “Bon, on ne va pas s’éterniser là !” plaisante mon ami au volant. Nous manquons de nous encastrer dans une faille de la chaussée de plusieurs centimètres. Autour de nous, le calme règne dans la ville de Futaba avec ses avenues fleuries. Nous sommes dans la zone d’évacuation située à 4,5 kilomètres de la centrale de Fukushima Dai-ichi et en ce beau dimanche de printemps, il n’y a pas âme qui vive.
“On est venu finir de nettoyer le restaurant, les sushis maintenant ça ne marche plus !” En bordure de la nationale 6, à 30 kilomètres de la centrale, le restaurant de sushis de Asakawa Fumio est fermé depuis exactement 37 jours. Evacué dès le lendemain du séisme et du tsunami qui ont ravagé la côte nord-est du Japon le 11 mars 2011, la famille de M. Asakawa loge depuis dans un centre de refuge de la ville d’Iwaki. “Nous revenons à Hisano Hama plusieurs fois par semaine pour ranger. On écoute la radio ou la télévision pour connaître le niveau de radioactivité dans l’air, et on est attentif au vent”, explique-t-il. Depuis le 12 avril, l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi a été classé au niveau 7 de l’échelle INES, au même niveau que celui de Tchernobyl, et la zone d’évacuation élargie au périmètre des 30 kilomètres [depuis le 21 avril, le périmètre des 20 kilomètres est totalement interdit]. Une décision soudaine de l’Agence japonaise de sûreté nucléaire rendue publique deux jours après la reélection du controversé gouverneur de Tokyo, Ishihara Shintarô. Un assureur rentre dans le sushiya et la blancheur de sa veste tranche dans la pénombre. “Les gens ne sont même pas dédommagés en pertes matérielles, car l’assurance séisme est trop chère, alors pour les radiations, vous pensez…”, lance-t-il. Tepco, la société gérante de la centrale de Fukushima, a annoncé il y a quelques jours une enveloppe de 50 milliards de yens [420 millions d’euros] pour les foyers situés dans la zone d’évacuation, mais pour ces habitants le mal est irréparable. “La pollution de la mer est notre principal souci, sans poissons nous n’avons pas de travail”, affirme l’épouse de M. Asakawa. Dans le port de pêche dévasté, quelques bateaux intacts attendent leur prochaine sortie en mer. Malgré les avertissements, quelques-uns des 6 300 habitants de Hisano Hama commencent peu à peu à revenir chez eux, des personnes âgées qui n’ont plus rien à perdre, ou quelques braves commerçants comme ce gars souriant qui étale sa marchandise dehors en déclarant “Makenai kara ! je ne me laisserai pas faire !”. Dans la ville, le compteur Geiger marque 0,3 microsieverts, une dose infime par rapport au seuil des 2,5, dose horaire admise durant une année d’exposition, mais qui peut exploser au moindre séisme près de la centrale. En direction de la côte, un barrage nous indique l’entrée dans la zone des 20 kilomètres. Les policiers nous demandent aimablement le but de notre visite. Derrière nous, quelques voitures attendent qu’on inscrive leur nom pour passer. Ce sont des habitants, venus chercher des affaires dans leurs maisons. “Il y a eu beaucoup de cambriolages, car pendant longtemps les habitants n’ont pas osé revenir”, déclare une femme. Passé le point de contrôle, la route qui mène à Fukushima Dai-ni, l’autre centrale, est coupée en deux. Nous rebroussons chemin. Un jeune Japonais sans masque de protection marche seul sur la nationale gondolée. ”Je suis venu voir de mes propres yeux ce qui se passe ici”, dit cet étudiant de Tokyo. Il nous guide vers la station balnéaire de Tomioka, à 4 kilomètres de la centrale. Dans un paysage de cataclysme, on entend seulement le vent faire craquer les planches arrachées. Un chien apparaît, la langue pendante. Plus loin, un chat se met à miauler, des râles terribles. Il y a quelques jours, plusieurs personnes avaient vu déambuler dans les villes des vaches et des porcelets à la recherche d’eau.
“Il y avait 49 maisons ici, maintenant il ne reste plus que cette construction en béton”, explique Satô Katsuyuki en pointant le bord de mer dévasté. A Minami-Sôma, à 20 kilomètres de la centrale, plus d’un tiers de la population est partie. “Je suis revenu chercher du matériel de récupération pour mon nouveau bureau”, raconte ce chef d’entreprise qui s’est établi dans la ville voisine de Sôma. “J’ai travaillé chez Tepco pendant 4 ans. C’était un travail très exigeant et les mesures de sécurité semblaient parfaitement maîtrisées.” Comme beaucoup, M. Satô est tombé de haut quand il a appris la gravité des dégâts causés par la centrale. “Depuis l’accident, il est facile de se plaindre, mais le fait est que tous les gens de la région ont bénéficié des revenus générés par le nucléaire. A présent, il faut tourner la page”. Il a perdu sa mère lors du tsunami et n’a pas d’enfants. “Nous ne sommes pas prioritaires pour les logements provisoires alors autant ne pas y compter”, ajoute-t-il. Le maire de Minami-Sôma avait lancé un appel sur YouTube alors que sa ville avait été oubliée par l’armée. La cité ne bénéficiait pas des aides alimentaires et les centres de refuge refusaient les gens originaires de Fukushima sans certificat de non-radioactivité pour entrer. Alors que notre compteur Geiger se remet à sonner, nous passons sous une arcade de la ville de Futaba. “le nucléaire, une énergie pour un avenir radieux”, peut-on y lire. Mais cette année, il n’y aura probablement que les oiseaux pour chanter sous les cerisiers en fleurs de la ville irradiée.
Alissa Descotes-Toyosaki
Sur la toile :
Alissa Descotes-Toyosaki a réalisé un reportage photographique lors de son passage dans la zone d’évacuation.