En accueillant quelque 1000 sinistrés, l’équivalent de 20 % de sa population, la petite cité a fait mieux que les grandes villes.
Sous un auvent fleuri face aux montagnes, Oishi Miwako regarde avec satisfaction sa dernière création. Fait de lianes et de branches recoltées dans la forêt, le panier est un cadeau pour l’auberge Yamato qui l’a accueillie il y a maintenant un mois. “C’est ma façon de remercier la patronne pour tout ce qu’elle fait pour nous”, explique-t-elle en souriant. Cette femme originaire de la ville de Minami-Sôma dans la préfecture de Fukushima a perdu sa maison lors du tsunami. Elle a été évacuée cinq jours après la catastrophe vers le village de Katashina. “Un bus est venu nous chercher et nous avons fait 7 heures de route pour arriver ici, je n’avais jamais vu autant de neige de ma vie”, s’exclame cette dame plus habituée à la plage qu’au climat rugueux de la montagne.
Voisine de Fukushima, la préfecture de Gunma est connue dans tout le Japon pour son parc national d’Oze, à cheval entre les deux régions. Mais cette fois-ci, c’est l’initiative du village de Katashina qui a attiré l’attention. Il a accueilli 920 réfugiés alors que le hameau ne compte que 5 000 âmes. Plus qu’une simple aide, les hôteliers de Katashina se sont mobilisés pour que les personnes venues de Minami-Sôma se sentent chez elles, comme à la maison. “Le maire a décidé tout de suite d’utiliser les chambres vides après les annulations massives qui ont suivi le séisme. En accord avec le syndicat des hôteliers et la préfecture de Gunma, Katashina a débloqué un budget pour accueillir dans l’urgence 1000 personnes”, raconte Kuwabara Mamoru, un des membres de l’équipe municipale. Le budget alloué est de 2500 yens par jour et par personne, avec trois repas et un logement dans des chambres individuelles, un luxe par rapport aux structures d’accueil publiques amenagées dans les écoles. “ J’ai changé trois fois de lieu avant d’arriver à l’auberge Yamato, et je m’y sens très bien”, lance Mme Oishi. Banba Katsuyuki acquiesce tout en époussetant le bac à plantes en bois qu’il vient de terminer. Ce charpentier fait partie des 11 personnes accueillies par l’auberge Yamato depuis début avril. “Banba-san est une célebrité depuis qu’il a eu sa photo dans le journal local”, rit Mme Oishi. Elle nous rappelle que la femme de M. Banba est toujours portée disparue. Il habitait à 1,5 km de la côte et a tout perdu lors du tsunami. Mais grâce aux outils de menuiserie qu’il a reçus de tout le Japon après la publication de son histoire dans le journal, il a pu reprendre goût au travail. Et comme tous les pensionnaires venus de Minami-Sôma, il contribue chaque jour à l’embellissement de l’auberge Yamato. “J’aime cet endroit et les gens aussi. Mais j’aimerais quand même rentrer vite chez moi !” s’exclame t-il. Depuis avril, 500 réfugiés ont quitté le village pour aller s’installer chez des proches, mais il reste encore 400 personnes qui attendent d’être relogées.
“Minami-Sôma vient de commencer la troisième phase de construction des logements provisoires”, explique Takahashi Makoto qui nous a guidé jusqu’à l’auberge Yamato. Cet employé de la ville de Minami-Sôma est venu à Katashina pour s’occuper des sinistrés. Il fait regulièrement des allers-retours entre les deux préfectures. “Les logements provisoires sont construits par groupe de 500, il y en aura bientôt 1 500 de prêts”, dit-il, tout en précisant que le manque d’espace est très problématique. “Nous avons besoin de 5 000 logements, mais nous ne pouvons construire que sur un quart de la surperficie de la ville. Cela correspond à la zone située à l’extérieur du périmètre d’exclusion des 30 kilomètres autour de la centrale de Fukushima-Dai-ichi. Nous n’avons pas assez de place”, ajoute-t-il. La difficulté de Minami-Sôma réside bien dans le fait que la ville est située en partie dans cette zone d’exclusion. Directement touchée par la radioactivité, la municipalité ne peut pas reloger tous ses administrés. “Seuls les habitants de la zone d’exclusion, les sinistrés du tsunami ou du séisme qui ont perdu leur maison peuvent bénéficier des logements provisoires. Les autres doivent regagner leur domicile ou trouver eux-mêmes un logement autre part”, explique M. Takahashi. Minami-Sôma est devenue célèbre après l’appel vidéo lancé par son maire sur YouTube, un SOS face à la détresse des habitants et l’inertie du gouvernement. Grâce à cette initiative, la ville est sortie de l’ombre et a reçu des aides et des messages de solidarité en provenance du monde entier. Ces réactions spontanées et inattendues ont mis du baume au cœur des sinistrés même si la ville vit toujours sous la menace nucléaire. “Beaucoup de nos administrés ont peur de rentrer chez eux. Mais loin de leur ville, ils souffrent de discriminations », rappelle l’employé municipal. Le petit village de Katashina a accueilli chaleureusement les sinistrés de Minami-Sôma arrivés en pleine nuit avec une banderole tenue par des collégiens sur laquelle on pouvait lire “Nous voulons contribuer à votre sécurité”. Modèle de rapidité et d’humanité, Katashina a servi d’exemple à beaucoup d’autres villages désireux d’apporter leur soutien aux victimes de la catastrophe du 11 mars. Depuis ces événements tragiques, trois mois se sont écoulés. Le village tient le coup et organise des réunions d’informations pour les gens de Minami-Sôma. Un “salon communautaire” a été amenagé près de la mairie. On y apporte des conseils, on règle des problèmes administratifs et on informe les sinistrés sur la situation dans leur ville natale. C’est aussi un moyen pour tous les sinistrés de garder le contact et de passer du temps ensemble. “Au début, nous avons eu aussi des appels de personnes qui avaient peur de la radioactivité, c’est pour cela que la préfecture de Gunma a décidé de distribuer des prospectus et d’organiser des campagnes d’informations pour rassurer les gens”, explique Takahashi Makoto. “Il serait faux d’affirmer que le séjour de mille sinistrés dans le village se soit déroulé sans problèmes. Il était question au début d’un séjour d’un mois. Mais à présent, tout le monde se demande combien de temps encore cette situation va durer. Certaines personnes sont retournées travailler à Minami-Sôma, d’autres ont trouvé un travail ici comme M. Tanaka qui a ouvert un restaurant de râmen à l’entrée du village. Mais ce qui est sûr c’est que personne ici n’a renvoyé de sinistrés. Tout cela n’aurait pas été possible sans la générosité des hôteliers de Katashina.”
“Toujours en train de nous flatter ce M. Takahashi !” La voix joyeuse d’Umezawa Masayo résonne sous la véranda de l’auberge et provoque des rires étouffés. La patronne de Yamato s’adresse avec autant de naturel aux victimes du tsunami qu’à ses voisins. “Ici, on ne fait pas de différence entre les gens”, s’exclame t-elle. Ce petit bout de femme gère avec bonhommie l’auberge Yamato en accueillant sans distinction touristes et réfugiés. “Les personnes de Minami-Sôma logent dans les chambres du personnel. Les autres chambres sont pour la clientèle habituelle”, explique-t-elle. “J’essaie de créer une bonne ambiance, pour que tout le monde se sente à l’aise. Certains clients se sont sentis gênés au début face à des sinistrés qui avaient tout perdu, mais après un bon barbecue et quelques verres de saké, ils oublient tout. Ça finit par être une expérience très enrichissante !” ajoute-t-elle. Plusieurs dames originaires de Minami-Sôma hochent la tête tout en continuant à rempoter des fleurs sauvages dans le bac fabriqué par M. Banba. “Les sinistrés ont besoin de se sentir utiles. Ils participent volontiers aux tâches ménagères, à la cuisine ou au jardinage”, raconte Mme Umezawa. L’auberge Yamato dispose d’un potager pour la consommation domestique et se targue d’être un futur modèle en matière d’économie solidaire. “Quand les gens de Minami-Sôma sont arrivés cinq jours après la catastrophe, c’était le chaos dans tout le Japon. Même ici, il y avait pénurie d’essence et des coupures d’éléctricité. Mais cette expérience nous a enseigné beaucoup de choses”, explique la patronne de l’auberge. Elle parle volontiers de l’expérience unique de monter les escaliers dans le noir. “Je comptais les marches et j’ai pris l’habitude de marcher bien droit, même maintenant je peux me débrouiller sans lumière”, rit-elle. Son établissement qui compte aussi deux bains publics a décidé de réduire la consommation d’électricité, en n’utilisant qu’un seul pour les deux sexes. “On s’est dit qu’on pouvait faire des économies d’énergie avec des initiatives simples. Avec l’arrivée de l’été, il faut y penser dès maintenant”, explique t-elle. L’été est aussi synomyme d’affluence touristique dans la région, mais Mme Umezawa se contente d’un petit haussement des épaules. “Il y a de la place pour tout le monde ici. Je souhaite simplement que les sinistrés puissent reprendre une vie normale le plus vite possible, mais on ne peut pas aller plus vite que la musique. Tout ce que je peux faire, c’est continuer à préserver l’équilibre entre tout le monde et faire en sorte que les gens gardent le moral, en organisant des sorties dans la montagne”. Mme Umezawa sort une photo prise dans le parc d’Oze sur laquelle figurent tous les pensionnaires de Minami-Sôma. Les gens de Katashina ont forgé un mot pour qualifier leur engagement en faveur des personnes sinistrées. Il s’agit de “Muranteer”, combinaison improbable entre Mura, village en japonais, et de Volunteer, bénévole en anglais. Une manière originale d’exprimer cette solidarité horizontale de village à village dont Katashina peut se vanter d’être le plus bel exemple.
Alissa Descotes-Toyosaki
Sakurai Katsunobu, maire de Minami-Sôma
Qu’avez-vous fait après le séisme et le tsunami du 11 mars ?
Sakurai Katsunobu : Juste après le séisme, je suis sorti pour coordonner les ordres d’évacuation liés à l’arrivée imminente du tsunami. J’ai ensuite organisé une réunion pour nous préparer à réagir à la situation de crise qui résulterait de son passage.
Vous avez lancé un SOS via le site YouTube. Qu’est-ce que cela a changé ?
S. K. : Recourir à YouTube me permettait de toucher le monde entier. D’ailleurs, des journalistes originaires des quatre coins de la planète sont venus à Minami-Sôma pour se rendre compte par eux-mêmes de la situation catastrophique que nous vivions. Cela a permis aussi de faire venir de nombreux bénévoles japonais sans oublier l’aide matérielle et financière dont nous avions besoin.
Que signifie le terme “solidarité” pour vous ?
S. K. : Pour moi, cela revient à “relier des cœurs entre eux”. Ces derniers temps, le sentiment de solidarité s’est répandu dans le pays, permettant aux personnes qui partagent des mêmes idéaux de s’unir face à l’adversité.
Comment avez-vous accueilli la proposition du village de Katashina de recevoir près de 1000 de vos administrés ?
S. K. : Quand elle m’est parvenue, j’étais très heureux. Vous savez, compte tenu des conditions que nous connaissions alors j’étais vraiment ravi d’apprendre que des gens étaient prêts à accueillir les sinistrés de notre ville.
Quelles sont vos priorités pour l’avenir ?
S. K. : Tout d’abord, permettre aux habitants de Minami-Sôma de retrouver une vie normale. Je voudrais aussi apprendre d’autres pays ce qu’ils savent des radiations afin de les éliminer. Il faut aussi mettre en place les moyens qui permettront à la population de faire face à la période de reconstruction. Enfin, nous devons remettre sur pied les écoles, les hôpitaux et les infrastructure indispensables au bon fonctionnement de notre quotidien.
Avez-vous un petit mot à adresser aux lecteurs de Zoom Japon ?
S. K. : Continuez à nous soutenir. Pour que Minami-Sôma et le Japon puissent se reconstruire, nous avons besoin de la solidarité de tous ceux et celles qui vivent sur cette planète. Si nous faisons les efforts qu’il faut, notre avenir sera forcément meilleur.
Propos recueillis par Odaira Namihei
Chigira Kinzô, maire de Katashina
Qu’est-ce qui vous a décidé à agir ?
Chigira Kinzô : J’étais à la mairie le 11 mars lorsque le séisme et le tsunami ont dévasté la côte nord-est du Japon. Lorsque j’ai vu les images à la télévision, je me suis tout de suite demandé ce que l’on pouvait faire pour venir en aide à tous ces gens. Au cours des deux jours qui ont suivi, j’ai beaucoup réfléchi et le 13 mars au soir, j’ai décidé que Katashina accueillerait des sinistrés.
Vous avez été seuls à prendre la décision ?
C. K. : Comme moi, de nombreux habitants de Katashina ont été choqués par les images diffusées après la catastrophe. Plusieurs d’entre eux se sont adressés à la mairie pour savoir ce qu’ils pouvaient faire en faveur de toutes ces personnes qui n’avaient plus rien.
Est-ce vous qui avez décidé d’accueillir des sinistrés de Minami-Sôma ?
C. K. : La décision d’accueillir des sinistrés m’appartenait bien sûr, mais ce sont les autorités de la préfecture de Fukushima qui ont choisi de nous envoyer des habitants de Minami-Sôma.
Quels problèmes avez-vous rencontré pour loger tant de monde ?
C. K. : Nous avions à notre disposition environ 250 chambres libres dans les hôtels. Notre objectif a donc été de convaincre des familles à accueillir des sinsitrés et des hôtels à faire des efforts. Et nous y sommes parvenus.
Katashina est montré en exemple. Qu’en pensez-vous ?
C. K. : C’est un honneur bien sûr. mais je crois que nous avons agi de façon naturelle en tant que village et en tant que citoyens.
Propos recueillis par O. N.
Hiwatashi Keisuke, maire de Takeo
Maire d’une petite cité située sur l’île de Kyûshû, il s’est démené pour les sinistrés, utilisant tous les moyens de communication à sa disposition.
Comment s’est passé le 11 mars pour vous ?
Hiwatashi Keisuke : Ce jour-là, je travaillais à Takeo. J’ai été informé par Twitter un peu après 15h. J’ai été anéanti par les images que j’ai ensuite vues à la télévision. J’ai cherché à joindre des connaissances à Sendai, mais en vain.
Qu’avez-vous décidé de faire ?
H. K. : J’ai tout de suite consulté les conseillers municipaux pour discuter de notre réponse à cette situation. J’ai proposé d’organiser une collecte de fonds. Le 12, j’étais dans les rues de Takeo pour participer à cette collecte.
Comment la population a réagi ?
H. K. : Certains membres de l’opposition ont critiqué. Mais la plupart des gens ont réagi positivement. Ce qui m’a beaucoup touché, c’est la participation spontanée des jeunes à cette collecte.
Vous utilisez les réseaux sociaux. Est-ce un bon moyen pour favoriser la solidarité ?
H. K. : Oui. J’utilise Facebook et Twitter, car cela permet de donner un visage à mon action et d’impliquer davantage mes concitoyens.
Votre engagement est cité en exemple. Qu’en pensez-vous ?
H. K. : Au Japon, quand les autorités veulent entreprendre quelque chose, ça prend toujours du temps. Je déteste ça. Je crois qu’il faut expérimenter et améliorer les choses si elles ne marchent pas. A Takeo, nous privilégions l’action avant tout. C’est ça que j’aimerais développer dans le pays.
Propos recueillis par O. N.