Un nombre croissant de femmes mangaka se lance dans le manga pour les hommes, en y apportant un petit quelque chose de plus.
Comme d’autres avant elle, Katô Kazue a débuté sa carrière de mangaka en faisant du manga pour les filles (shôjo). Une sorte d’obligation pour les auteurs de sexe féminin qui, pour les éditeurs et une grande partie du public, se devaient d’évoluer dans un univers destiné au sexe dit faible. Mais c’était sans compter sur l’entêtement de certaines dessinatrices désireuses de faire disparaître les frontières entre les genres. “Parmi les femmes mangaka de ma génération (elle est née en 1980), cette volonté de changer les genres est assez fréquente. En fait, je me suis rendue compte que le style shôjo ne me correspondait pas. Je me sens tout à fait incapable de passer des heures à dessiner les grands yeux brillants d’un personnage comme on en voit tant dans les mangas pour les filles. Je me suis donc naturellement tournée vers le shônen”, explique la jeune femme dont on sent, au son de sa voix, toute la détermination. Elle a donc travaillé sur un scénario auquel un lectorat masculin adhèrerait sans sourciller et sans se demander s’il a été imaginé ou non par un homme. “Je voulais créer un pur shônen”, confie-t-elle. “Rien de plus. Dans Blue Exorcist, je ne cherche pas à délivrer de message. Ce que je voulais, c’était parvenir à créer une histoire susceptible de plaire à des jeunes adultes. C’était déjà un gros défi en soi”, ajoute-t-elle. Elle a donc imaginé les aventures de Rin, un jeune garçon, adopté très jeune par un célèbre exorciste. Un jour, il apprend qu’il est le fils de Satan quand ce dernier apparaît pour le conduire dans son monde. Mais il refuse et décide de combattre le mal aux côtés des exorcistes. “J’ai été inspirée par un conte des frères Grimm dans lequel des frères combattent des monstres. Je suis partie de cette idée, mais en la simplifiant le plus possible afin d’en faire une histoire attrayante”, explique la jeune femme. Il faut reconnaître qu’elle a trouvé la bonne recette. On laisse prendre assez facilement et on suit avec un certain plaisir les aventures de Rin et de ses compagnons. Faisant usage de nombreuses références bibliques dans son manga, Katô Kazue n’a pas échappé aux critiques de certaines qui lui ont justement reproché de les utiliser dans des contextes parfois douteux. “Je comprends que cela puisse choquer certains lecteurs, notamment dans les pays occidentaux où la Bible est bien plus enracinée qu’au Japon. Ici, on se montre évidemment moins regardant à ce sujet”, reconnaît-elle. Malgré ces réactions, elle n’envisage pas de changer son scénario, espérant que les plus grincheux des lecteurs finiront par comprendre que son objectif n’est pas de choquer les uns ou les autres. L’idée est, répétons-le, de distraire. Rin est l’archétype du héros de shônen : orphelin, impulsif, bouillonnant, mais qui cache une vraie vulnérabilité sur laquelle va travailler Katô Kazue. Quand on lui demande si le fait d’être une femme a une influence sur son œuvre, elle sourit. “Je n’en ai pas l’impression. Mais je suis mal placée pour analyser mes propres œuvres”, rétorque-t-elle. Toujours est-il que de nombreux fans de mangas shôjo ont craqué pour Blue Exorcist et ce n’est peut-être pas un hasard. Elle maîtrise parfaitement les scènes d’action comme tout autre mangaka shônen, mais c’est dans la psychologie des personnages que Katô Kazue s’illustre et apporte sa touche féminine. Sur de nombreux sites Internet où l’on évoque la série, on peut lire bon nombre de réactions de lecteurs qui mettent en avant l’attachement vis-à-vis des personnages qui ne sont pas de simples hommes d’action sans cervelle. Le résultat est plus que réussi et on en redemande. Que du bonheur pour les lecteurs qui se délectent de ce genre d’histoire. Si vous ne le connaissiez pas ou très peu, ce manga est un must dans votre bibliothèque. Vous ne le regretterez pas. Katô Kazue a fait sauter un verrou important dans le monde compartimenté du manga au Japon. Rien que pour cela, on attend chaque nouvelle parution.
Gabriel Bernard
Bibliographie
Blue Exorcist de Katô Kazue, trad. par Sylvain Cholet & Josselin Moneyron, éd. Kaze, série en cours, 5 tomes déjà parus, 6,95 €