Ce qu’un homme ne dit pas est le sel de la conversation, dit un proverbe nippon. Et quand il parle, que dit-il alors?
Tout cinéphile qui se respecte connaît les films d’Ozu et a notamment en mémoire le formidable Bonjour (Ohayô, 1959) où deux jeunes frères décident de faire la grève de la parole pour protester contre leur père qui leur interdit d’aller regarder la télévision chez leur voisin. Symbole des mutations du Japon de l’époque, la télévision est ici perçue comme un élément intrusif plutôt que comme un facteur de progrès. Pour quelqu’un comme Pipo qui cherche avant tout à s’immerger dans la langue japonaise, les programmes télé, outre le berceau d’une culture audiovisuelle qui le rend plus réceptif à toutes les surprises d’un séjour linguistique au Japon, sont aussi un très bon moyen d’élargir sa perception du japonais au quotidien. Pourtant, regarder un tournoi de sumo en rentrant de l’école, les yeux rivés à l’écran, immobile et muet, c’est autant de temps perdu à ne pas communiquer, à ne rien exprimer et à ne percevoir finalement que ce qui se passe à l’intérieur du poste de télévision, c’est-à-dire loin d’ici, loin de ce qu’on vit vraiment. Et c’est cette télévision que réclament Minoru et Isamu dans Bonjour, excédés par l’inutilité de la parole lorsque celle-ci n’est que politesse. À écouter l’aîné, les adultes devraient se taire au lieu de combler leurs conversations avec des phrases banales de la vie quotidienne…
Mais ces phrases immuables destinées à un usage bien précis sont du pain béni pour l’élève en japonais qui peut alors trouver sa place dans une conversation et ne pas rester sur le carreau ! Le japonais s’apparente bien souvent à un système de codes qu’il suffit d’appliquer à la lettre pour se glisser parmi la population sans faire de vagues. On s’applique alors non à être original, mais à répéter avec le plus de fidélité possible ce qu’on entend du matin au soir, des formules toutes faites :
いただきます。
Itadakimasu.
Bon appétit ! (littéralement : « je reçois », il s’agit surtout d’une formule pour remercier avant le repas)
ごちそうさまでした。
Gochisô sama deshita.
C’était un régal. (formule pour remercier à la fin du repas, pour marquer que l’on a fini ou accessoirement que l’on n’a plus faim)
お疲れさまでした。
Otsukare sama deshita.
Vous devez être fatigué ! (employé notamment à la fin d’une journée de travail pour exprimer sa reconnaissance envers ses collègues)
お先に失礼します。
Osaki ni shitsurei shimasu.
Je pars avant vous. (se dit quand on quitte le bureau avant les autres)
Autant de mots figés qui rythment les conversations et permettent des échanges lisses et sans heurts, et ne pas les employer revient finalement à faire entrave au bon déroulement des choses.
Pierre Ferragut
Pratique :
Le mot du mois
気持ち (kimochi) : sentiment, sensation
言葉だけでは伝わらない気持ちもあります。
Kotoba dake dewa tsutawaranai kimochi mo arimasu.
Il y a des sentiments que les mots ne suffisent pas à exprimer.