Grâce à l’excellent travail de Ozaki Mariko, les lecteurs plongent avec délice dans les dessous de la littérature japonaise.
Quelle bonne idée d’avoir publié cet ouvrage ! Voilà ce que l’on se dit lorsqu’on referme pour la dernière fois Ecrire au Japon : Le roman japonais depuis les années 1980 de Ozaki Mariko. Une nouvelle fois, les éditions Philippe Picquier se distinguent en laissant la parole à un auteur japonais pour qu’il analyse la littérature de son pays, plutôt que de laisser à un Occidental le soin de le faire. L’autre intérêt de ce livre, c’est d’avoir été écrit par une journaliste bien informée et visiblement attachée à la matière qu’elle traite. Cela permet d’avoir entre les mains un ouvrage agréable à lire accompagné de quelques anecdotes dont une étude universitaire aurait été forcément privée pour laisser la place à l’appareillage de notes. Par ailleurs, sa lecture permet, c’est essentiel, de (re)contextualiser un certain nombre de romans japonais parus ces dernières années. On y apprend également de nombreux détails fort intéressants sur le fonctionnement du monde de l’édition au Japon. En moins de deux cents pages, l’auteur brosse un portrait sans concession de la littérature japonaise à l’égard de laquelle les lecteurs français manifestent un intérêt croissant. Les excellentes ventes en France des deux premiers tomes de 1Q84 de Murakami Haruki chez Belfond qui vient de faire paraître le troisième confirment aussi cette tendance. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’essai de Ozaki Mariko démarre avec l’entrée fracassante d’un certain Murakami Haruki sur la scène littéraire nippone même si certains esprits chagrins pouvaient écrire à l’époque : “L’ère du roman est en train de prendre fin et la littérature contemporaine ne dispose plus de la force nécessaire pour créer de nouveaux récits ni de nouvelles thématiques”. Malgré le pessimisme d’un Hasumi Shigehiko, professeur à la prestigieuse université de Tôkyô et voix très écoutée dans les milieux intellectuels, le roman japonais va montrer son extraordinaire vitalité au cours des deux décennies suivantes. Ce qui est certain, comme le démontre très bien Ozaki Mariko, la fin des années 1980 est un tournant capital dans l’histoire littéraire japonaise. Tout comme le pays qui s’apprête à entrer dans une longue période de turbulences liées à l’éclatement de la bulle financière, aux bouleversements géopolitiques et à l’effondrement de nombreux repères, la littérature nationale connaît aussi des changements importants avec une sorte de passage de témoin entre les générations plus âgées et les plus jeunes. Tout au long des deux décennies que la journaliste du Yomiuri Shimbun, le premier quotidien du Japon, a choisi de passer au crible, on voit ainsi apparaître des têtes nouvelles (souvent très jeunes) et des thématiques originales qui contredisent dans les faits les propos de Hasumi Shigehiko. Au fil des pages, on constate en effet que les écrivains japonais sont profondément en phase avec la société qui les entoure et qu’ils savent prendre à leur compte les avancées technologiques (fax, ordinateur, Internet, téléphone portable) qui ont transformé nos existences. Parue initialement en 2007 au Japon, l’édition française bénéficie d’une postface particulière. Cette dernière a le mérite de mettre en perspectives les changements induits par le 11 mars et l’après 11 mars 2011. Comme en ont témoigné les écrivains japonais présents au Salon du livre, ces événements ont eu un impact très net sur eux. “Le Japon se trouve confronté à une situation inconnue depuis des siècles. Dans ce contexte, quel rôle la littérature et les écrivains pourront-ils tenir ?” écrit Ozaki Mariko. Les réponses commencent à arriver dans les rayons des librairies nippones. On les retrouvera d’ici quelque temps traduites en français. A ce moment-là, on aura besoin à nouveau des lumières de la journaliste.
Gabriel Bernard
Référence :
Ecrire au japon : Le roman japonais depuis les années 1980 de Ozaki Mariko, trad. par Corinne Quentin, éd. Philippe Picquier, 19,80 €.
Petite révolution autour du prix Akutagawa
Comme le rappelle fort justement Ozaki Mariko dans son essai sur le roman japonais, les prix littéraires jouent un rôle très important. Parmi eux, le plus célèbre est le prix Akutagawa. Décerné deux fois par an depuis 1935, on le compare souvent au prix Goncourt en ce sens qu’il contribue à doper les ventes des ouvrages récompensés. Mais à la différence du Goncourt, il a pour vocation de favoriser l’émergence de nouveaux talents. Dans son livre, Ozaki Mariko rappelle notamment la date du 15 janvier 2004 lorsque le jury du prix décide de récompenser deux jeunes femmes de 19 et 20 ans, Wataya Risa et Kanehara Hitomi. Un choix audacieux qui a bouleversé l’univers littéraire de ces dernières années. Un autre événement marquant vient de se produire. Il ne figure pas dans l’ouvrage d’Ozaki Mariko, c’est le fait que le jury est désormais composé de personnes nées après la Seconde Guerre mondiale. Les membres qui en font partie ont aujourd’hui entre 50 et 65 ans. Il va sans dire que ce changement générationnel aura sans doute des conséquences sur les choix des futurs lauréats, ce qui devrait renforcer l’intérêt que les Japonais portent à ce prix.