En l’espace d’une année, l’opinion publique a évolué. Elle manifeste son rejet de la politique énergétique de l’Etat.
Ils sont vieux. Ils sont jeunes. Il y a des artistes, des mères de famille, des retraités. Certains sont célèbres, d’autres sont des illustres inconnus. A priori, rien ne les rapproche. Pourtant, ils combattent pour la même cause : une sortie du nucléaire. Plus d’un an après la catastrophe du 11 mars qui a conduit à l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi, les Japonais sont de plus en plus déterminés à en finir avec cette énergie et l’attitude ambiguë des pouvoirs publics à son égard. Dans un sondage du Tôkyô Shimbun publié le 18 mars dernier, 80 % des personnes interrogées affirmaient la nécessité de réduire la dépendance du pays vis-à-vis du nucléaire et de mettre en œuvre une politique en faveur d’une sortie du nucléaire au cours des prochains mois. Le pourcentage est considérable quand on se rappelle qu’il y a encore douze mois la majorité d’entre eux se montrait favorable à l’atome. Ce chiffre est d’autant plus intéressant que les autorités n’ont pas ménagé leurs efforts pour rassurer l’opinion publique sur la sécurité des installations. Les opérations de contrôle ont été multipliées à tel point qu’il ne reste actuellement plus qu’un seul réacteur en service sur les 54 installés dans l’archipel. Le 6 mai, ils seront même tous à l’arrêt, pour une journée seulement, mais l’annonce faite par Edano Yukio, le ministre en charge du dossier, a suscité pas mal de réactions négatives de la part des industriels de la filière qui craignaient que ce soit un signal trop fort en direction des partisans d’une sortie immédiate du nucléaire. Ces derniers sont de plus en plus nombreux et n’hésitent plus à se faire entendre. Le succès des manifestations organisées depuis l’automne dernier à l’initiative de Ôe Kenzaburô, prix Nobel de littérature, et du journaliste Kamata Satoshi (voir Zoom Japon n°16, pp. 4-5) a permis d’élargir la base de ceux qui ne veulent plus entendre parler de l’énergie nucléaire. Les premières manifestations du printemps 2011 avaient surtout été le fait de la jeunesse contestataire qui se retrouvait à Kôenji, son quartier de prédilection (voir Zoom Japon n°10, pp. 4-9). Puis au fil des semaines, devant le manque d’informations précises et claires sur les dangers liés à la radioactvité, un nombre croissant de Japonais ont exprimé leurs doutes et leur désir de changer. Leur message prend aujourd’hui un peu plus d’ampleur à l’approche de l’été, période de forte consommation électrique (en raison de l’utilisation massive de l’air conditionné dévoreuse d’énergie).
80 % des Japonais veulent en finir avec l’atome
En effet, les responsables gouvernementaux multiplient les annonces soulignant les risques de coupure si les centrales actuellement à l’arrêt ne sont pas remises en service d’ici le début de la saison chaude. Ils rappellent également que cela pèse sur l’économie nationale. En 2011, le déficit commercial du pays a battu tous les records, en raison notamment de l’importation massive de matières premières fossiles pour les centrales thermiques. Quel que soit leur discours, il ne convainc plus les Japonais qui ont décidé de mettre en doute la parole de l’Etat. Ils sont désormais plus préoccupés par la sécurité physique que par celle de l’économie. Selon un autre sondage mené le 14 avril par la chaîne de télévision TV Asahi, 59 % des personnes interrogées acceptent que leur facture d’électricité subisse une forte augmentation tant que l’énergie n’est pas produite par des centrales nucléaires. Elles sont même 90 % à estimer qu’il sera nécessaire de faire de nouvelles économies d’énergie pendant l’été comme cela avait été le cas l’an dernier. Ces pourcentages élevés ne reflètent pas seulement une sorte de fatalisme devant une situation dont les Japonais n’ont pas la maîtrise. Ils traduisent une prise de conscience de l’absurdité de posséder des centrales sur un territoire soumis régulièrement aux caprices de la nature. Au cours des dernières semaines, plusieurs rapports sur les risques sismiques ont été rendus publics, soulignant une nouvelle fois les dangers de tsunami. L’accident de Fukushima Dai-ichi étant directement la conséquence de la déferlante qui a suivi le séisme du 11 mars 2011, les Japonais craignent évidemment que les installations nucléaires — dont beaucoup sont implantées en bordure de mer — connaissent le même sort, en particulier dans des régions bien plus peuplées que celle autour de Fukushima. Lorsqu’ils lisent que les risques d’un séisme puissant dans le sud de l’archipel s’élèvent désormais à 70 % au cours des prochaines années et que la taille de la vague pourra atteindre 30 mètres à certains endroits, ils ne veulent pas entendre parler d’un redémarrage des centrales dont les protections contre les tsunami sont loin d’être capables de résister. Voilà pourquoi ils sont dans la rue, n’hésitant pas à installer des tentes dans le quartier des ministères à Tôkyô pour sensibiliser les fonctionnaires et leur faire comprendre que la page du nucléaire doit être enfin tournée. Leur combat est loin d’être terminé, car la résistance du système est forte. Mais la voix de la société civile commence à se faire entendre auprès de certains dirigeants. Le 12 avril, 55 élus du Parti démocrate, actuellement au pouvoir, ont créé l’Association de réflexion en faveur d’une sortie du nucléaire (Datsugenpatsu rôdomappu wo kangaeru kai) à laquelle participe l’ancien Premier ministre Kan Naoto qui s’est retrouvé en première ligne en 2011 pour gérer la crise de l’après 11 mars. De son côté, Hashimoto Tôru, le maire d’Ôsaka (voir Zoom Japon n°19, zoom actu), a exprimé publiquement ses doutes sur la remise en route de certaines centrales. L’homme politique à qui l’on prête de grandes ambitions surfe bien sûr sur la vague du rejet à l’égard du nucléaire, ce qui lui vaut de bénéficier d’une popularité importante (57 %) sur ce sujet. De quoi faire réfléchir les dirigeants actuels.
Odaira Namihei