Dans l’enseignement du japonais, les katakana ne sont souvent pas considérés à leur juste valeur. Ils sont pourtant indispensables.
L’art de la reconstitution, ce n’est pas seulement tous ces plats en plastique qui habillent les vitrines des restaurants de l’archipel et qui font tourner les yeux des touristes. C’est aussi, du point de vue linguistique, les katakana et leur formidable capacité à rendre compte de sonorités qui a priori n’ont rien à voir avec les sons de la langue japonaise. Les katakana réussissent en effet ce tour de force qui consiste à formuler phonétiquement, d’une façon qui allie la géométrie à la poésie, ce qui bien souvent est imprononçable. Les Japonais disposent d’une cinquantaine de syllabes pour exprimer leur perception du monde sonore qui les entoure. C’est peu, alors à la fin de l’été, quand l’inimitable chant des cigales commence à perdre de son ardeur pour gagner en rondeur, les katakana s’approprient sans scrupules ce qu’aucun être humain n’est censé pouvoir prononcer pour l’enfermer dans une onomatopée à rebondissements évocatrice à souhait :
夏を惜しむかのようにセミがツクツクボーシ、ツクツクボーシと鳴いていました。
Natsu o oshimu ka no yô ni semi ga tsuku tsuku bôshi, tsuku tsuku bôshi to naite imashita.
Le chant des cigales résonnait comme une complainte à l’été finissant.
Les katakana sont également, et même principalement, utilisés pour transcrire les mots étrangers où d’origine étrangère. C’est naturellement le cas de tous les noms propres dont certains subissent alors une restriction phonétique pour le moins radicale, ce qui parfois n’est pas sans poser quelques problèmes. Notre « r » et notre « l » étant assimilés au même son en japonais, il est par exemple impossible de savoir si ローラ (rôra) désigne Laura plutôt que Lola. Mais c’est aussi le cas d’un grand nombre de termes que le filtre réducteur des katakana déforme au point de faire oublier la langue dont ils sont issus :
子供の頃に観た映画で、トラウマになっているものはありませんか。
Kodomo no koro ni mita eiga de, torauma ni natte iru mono wa arimasen ka.
Parmi les films que vous avez vus petit, n’y en a-t-il pas qui vous ont traumatisés ?
Torauma n’est pas le croisement d’un tigre (tora) avec un cheval (uma). Il s’agit de la transcription du grec trauma (traumatisme), une métamorphose qui illustre par ailleurs tout l’art des katakana de faire rentrer phonétiquement des mots étrangers dans la langue japonaise, tout en marquant leur étrangeté par une graphie différente.
La langue japonaise est ainsi faite que rien ne lui est inaccessible. Tout peut s’y intégrer. C’est là toute sa souplesse et sa richesse.
Pierre Ferragut
Pratique :
Le mot du mois
特徴 (tokuchô) : particularité
日本語の特徴は漢字やひらがな、カタカナが混じっていることです。
Nihongo no tokuchô wa kanji ya hiragana, katakana ga majitte iru koto desu.
La particularité du japonais, c’est une écriture qui mêle kanji, hiragana et katakana.