Pour aider les riziculteurs qui ont tout perdu après le passage du tsunami, un projet original de culture du coton a vu le jour.
Après une forte augmentation en 2010, les cours du coton ont enregistré une chute tout au long de l’année 2011, suscitant chez certains producteurs dans le monde, notamment en Afrique, une vive inquiétude. Cela est synonyme pour certains d’entre eux de la faillite ou du moins de grosses difficultés financières à venir. A Sendai, dans la partie de la ville qui a été la plus touchée par le tsunami du 11 mars 2011, on ne s’intéresse guère à l’évolution des prix du coton, mais on montre beaucoup d’intérêt pour cette matière première qui pourrait, à certains égards, sauver l’activité de nombreux agriculteurs locaux. Riziculteurs pour la majorité d’entre eux, la déferlante meurtrière du printemps 2011 a été fatale pour leurs rizières. A Wakabayashi, vaste plaine faisant face à la mer, les quartiers résidentiels ont été emportés et les nombreux champs ont été inondés par l’eau de mer qui s’est enfoncée dans les terres sur plusieurs kilomètres. Le sable, le sel et les tonnes de déchets chariés par la mer au moment du tsunami ont eu raison des rizières. Pour les experts consultés, la production de riz dans cette région est compromise pour plusieurs années. Après avoir nettoyé la zone, en retirant d’abord les plus gros gravats puis les plus petits, les agriculteurs ont commencé à l’automne dernier un gigantesque chantier visant dans un premier temps à retirer plusieurs centimètres de terre et de sable afin de permettre au sel de ressortir. Pour accélerer le processus, certains ont fait appel à des techniques coûteuses visant à injecter de la vapeur dans la terre afin de faire remonter le sel à la surface. C’est en effet le sel qui semble être le principal souci des riziculteurs qui savent qu’il leur faudra attendre 3 à 5 ans avant de pouvoir reprendre une activité normale et compter sur une production de riz digne de ce nom. C’est évidemment un drame pour eux. Non seulement ils ne peuvent plus exercer normalement leur profession, mais ils perdent une source de revenus non négligeable. Les autorités ont mis en place des systèmes d’indemnisation, mais cela n’est pas entièrement satisfaisant aux yeux de personnes qui ont passé toute une vie à cultiver une terre aujourd’hui incultivable.
C’est un terme que Era Keisuke ne veut pas entendre. Certes, il a conscience que la culture du riz est actuellement impossible, mais pour cet optimiste de nature, il ne faut pas baisser les bras et il faut chercher à offrir une alternative aux agriculteurs de la région. Cette dernière s’appelle le coton. Il a donc lancé l’opération Tôhoku Cotton Project. “A l’origine du projet, on trouve plusieurs entreprises au premier rang desquelles Tabio, entreprise spécialisée dans les chaussettes et les collants et la compagnie de chemin de fer JR. Nous avions déjà réfléchi ensemble et travaillé sur un autre projet à Kojima dans la région d’Okayama. Cette ville est très réputée pour sa production de jeans. On avait déjà tenté de cultiver du riz, mais la trop grande quantité de sel présente dans la terre avait conduit à un échec. C’est la raison pour laquelle, le coton y a été privilégié avec succès. Suite à cette expérience, Ôchi Katsuhiro, le patron de Tabio, a été frappé par les dégâts provoqués par le sel dans la région du Tôhoku. Plus de 20 000 hectares ont ainsi été endommagés par le sel, rendant impossible la riziculture. Moins d’un mois après le tsunami, nous avons décidé de lancer l’opération Coton dans le Tôhoku”, explique Era Keisuke qui dirige pour sa part Kurkku, un organisme qui promeut le coton organique.
Parce que Rome ne s’est pas faite en un jour, les promoteurs du projet ont mis en place un champ expérimental de deux hectares environ à Wakabayashi afin de montrer aux agriculteurs le processus de culture du coton, mais aussi de les convaincre de l’utilité de leur initiative. “Nous n’avons pas d’objectif chiffré, mais M. Ôchi souhaiterait à terme que 5 % des 20 000 hectares concernés soient tournés vers la culture du coton. Nous ne cherchons pas imposer quoi que ce soit. Nous proposons simplement une alternative et c’est aux agriculteurs de choisir s’ils souhaitent ou non se lancer dans ce type de production”, ajoute le jeune homme qui a bien conscience des difficultés à surmonter pour arriver à convaincre. Le Tôhoku est une région où la riziculture est fortement implantée. Elle joue le rôle de grenier du pays et dans l’histoire, sa production de riz a joué un rôle important et déterminant. Au Japon, tout le monde se souvient que les difficultés d’acheminement de la production de riz en provenance du Tôhoku avaient été déterminantes dans la création des premières lignes de chemin de fer à la fin du XIXème siècle afin d’assurer le bon approvisionnement en riz dans l’archipel. “La culture du coton est quasi inexistante au Japon depuis un siècle. La suppression des taxes à l’importation a contribué à faire disparaître cette culture au point qu’aujourd’hui bon nombre de Japonais ne savent même pas que le coton est d’origine végétale. Par ailleurs, le Tôhoku, compte tenu de son histoire et de son rôle, est plutôt conservateur en matière agricole. Il faut bien reconnaître que les premières réactions à notre projet n’ont pas été enthousiastes”, concède Era Keisuke. “Pour ces gens, c’est un défi difficile à relever”, poursuit-il. Les agriculteurs sont pour la plupart âgés. Il n’est pas facile pour eux de devoir brusquement changer de mode de production et d’adopter une nouvelle culture. C’est d’autant plus compliqué à les faire évoluer que l’Etat a entrepris à Higashi-Matsushima, à quelques kilomètres de là, une expérience visant à nettoyer la terre pour en retirer les excès de sel. “Beaucoup d’agriculteurs pensent que c’est une solution qui peut fonctionner. Ils attendent de voir les résultats avant d’avoir à changer leur fusil d’épaule”, confie le responsable du Tôhoku Cotton Project. “Mais bon nombre d’entre eux savent que la production de riz ne pourra pas reprendre normalement avant 5 voire 10 années”. Voilà pourquoi, petit à petit, les agriculteurs s’intéressent au projet défendu par M. Era.
Celui-ci est ambitieux, il veut permettre à une population sinistrée de rebondir, de trouver de nouvelles sources de revenus et de créer une activité commerciale qui n’existait pas auparavant. “Depuis des années, nous travaillons dans des pays étrangers, notamment en Inde, pour aider les agriculteurs à passer au coton organique. Il faut environ trois ans pour changer de mode de production. Notre organisation les aide pendant les deux premières années afin d’assurer la transition, en leur assurant une source de revenus. Forts de cette expérience, nous entendons travailler d’une manière similaire avec les agriculteurs du Tôhoku. Nous avons passé des accords avec plusieurs entreprises de textiles japonaises qui se sont engagées à acheter à un prix supérieur au marché le coton produit dans la région afin de permettre aux producteurs une source de revenus stables et de les encourager à continuer sur cette voie. Une fois que le coton est acheté, nous organisons la transformation qui est notre spécialité. Il s’agit de mettre en place une filière ex nihilo”, ajoute-t-il. Il sait que ce ne sera pas facile. La première année ne donnera sans doute pas de grands résultats, mais il ne s’agit pas de baisser les bras. Era Keisuke table sur deux ou trois ans avant de savoir si le coton sera oui ou non une alternative fiable pour les riziculteurs. Le climat n’a pas été très favorable au cours des premiers mois d’expérimentation. Après avoir compilé toutes les informations et toutes les données relatives à la première récolte de coton, M. Era se montre optimiste. Le 23 juin 2012, une première vente de produits réalisés avec la première récolte s’est déroulée à Tôkyô. Elle a bénéficié d’une bonne fréquentation, ouvrant ainsi la perspective d’autres récoltes qui apporteront une nouvelle dose d’espoir dans cette région.
Gabriel Bernard