Avec l’écrivain Hirose Takashi, il participe à des opérations pour relayer l’information concernant les manifestations anti-nucléaires.
C’était vraiment rageant de voir comment les journaux et la télévision avaient couvert des événements comme le printemps arabe et le mouvement Occupy Wall Street alors qu’ils ne s’intéressaient pas aux manifestations qui se déroulaient au Japon”, explique Watai Takeharu. “Aussi l’écrivain Hirose Takashi, qui est aussi un militant anti-nucléaire de longue date, a-t-il édcidé de faire quelque chose en mettant sur pied un partenariat avec l’Association japonaise des journalistes visuels dont je suis membre. J’ai été chargé de la production vidéo et OurPlanet-TV a eté désignée pour diffuser le contenu sur Internet. On m’a aussi demandé d’assurer les prises de vue aériennes compte tenu de mon expérience dans la couverture de conflits en Asie. Les tournages de nuit n’étaient vraiment pas évident à réaliser, mais cela a été une expérience intéressante”, ajoute-t-il. La première sortie du groupe a eu lieu le 29 juin. Le 16 juillet, il a couvert la grande manifestation qui a rassemblé près de 100 000 personnes et le 29 juillet, il était présent pour la manifestation autour du Parlement. Avec ses compagnons, il a le désir de poursuivre ce travail aussi longtemps que possible.
Watai Takeharu reconnaît que la gestion des problèmes de logistique n’a pas été évidente. “Tout s’est décidé brusquement. Nous n’avions que 4 ou 5 jours pour nous préparer. Il a fallu louer un hélicoptère, mais cela n’a pas été facile d’en trouver équipé d’un gyro système pour nous permettre de prendre des images stables”, précise-t-il. Au début, il s’est inquiété de l’aspect financier du projet dans la mesure où deux heures de tournage coûtent environ 500 000 yens tout compris. Mais en définitive, l’argent s’est avéré être le moindre problème. “Hirose Takashi a ouvert un compte bancaire et envoyé des messages à ses amis et connaissances pour qu’ils fassent des donations. Nous espérions récolter 500 000 yens, mais au bout d’une semaine, il y avait 8 millions de yens provenant en grande partie de dons faits par des personnes anonymes”, affirme-t-il.
Quand on lui dit que le projet auquel il participe s’apparente à “une bataille aérienne”, le caméraman sourit. “Ça me semble un peu exagéré, mais il est vrai qu’il existe une profonde défiance de l’opinion publique à l’égard des grands médias. Il suffit de voir comment ils essaient de censurer les militants anti-nucléaires. M. Hirose, par exemple, est engagé sur cette question depuis des années. Je me souviens de l’avoir vu à la télévision quand j’étais enfants alors qu’aujourd’hui, il est interdit de plateau par la plupart des chaînes de télévision”, souligne-t-il.
Watai Takeharu estime que les grands médias ont trahi la confiance de la population. “Avant même Fukushima, ils ont été mis en cause à plusieurs reprises, mais leur façon biaisée de couvrir l’accident nucléaire et ses conséquences a provoqué la colère des gens, car c’est un sujet crucial qui concerne tout le monde que l’on soit jeune ou vieux. Ils voulaient savoir ce qui s’est vraiment passé, mais les médias n’ont jamais apporté de réponse satisfaisante et argumentée. Le Tôkyô Shimbun est sans doute le suel quotidien important à avoit cherché la vérité depuis le début de la crise. Bien sûr, nous sommes conscients du fait que les choses ne sont pas aussi simples qu’il y paraît. La NHK a ainsi été beaucoup critiquée, mais elle a cependant diffusé quelques-unes des meilleures émissions sur la question”, nuance le journaliste.
En tant que membre de la profession, il partage les craintes et les doutes de ses collègues à l’égard de l’avenir de la profession. “Nous sommes conscients que beaucoup de personnes nous haïssent”, reconnaît-il. “Quand je me suis rendu à Fukushima, les gens voulaient savoir à quel média j’appartenais et si j’allais vraiment montrer ce que j’avais vu. Ça complique notre travail parce qu’il est désormais difficile d’entrer en contact avec les gens pour les interroger. Les choses sont d’autant plus difficiles que le sujet traîté est complexe. Même les journalistes qui veulent présenter la situation de façon équilibrée ont bien du mal dans la mesure où même les experts ne parviennent pas à s’entendre sur de nombreux aspects de l’énergie nucléaire. Il y a donc un fort sentiment d’insécurité et il est difficile, pour nous journalistes, de dire à l’opinion de faire attention à ceci ou de ne pas s’inquiéter de cela”.
Tepco, qui, par le passé, a eu une grande influence dans la façon dont les grands médias ont couvert le débat sur l’énergie nucléaire, a récemment été nationalisée. La manifestation du 29 juin a été couverte par la plupart des grands journaux. Watai Takeharu considère cela comme un nouveau point de départ. “Cela peut néanmoins s’avérer problématique, assure-t-il. Un brusque changement dans la façon de couvrir la question pourrait laisser croire que les médias ont menti au public pendant 18 mois. Lorsque, au cours des prochaines années, nous verrons une augmentation visible de nombre de cas de cancer et de leucémie, les gens se souviendront de tous les articles lénifiants du passé”.
Voilà pourquoi il se montre modérément optimiste sur l’avenir du journalisme au Japon. “Jusqu’à il y a encore 10 ou 20 ans il était quasiment impossible de diffuser des images ou des informations de façon indépendante. Aujourd’hui, beaucoup de gens disposent de connaissances technologiques pour se passer des principales chaînes de télévision. D’après moi, il y aura un nombre croissant de personnes qui feront la même chose que nous avons faite au cours des mois écoulés. Cependant, le journalisme citoyen n’est pas encore totalement implanté au Japon. De façon évidente, il y a eu un ergain d’activité dans ce domaine après Fukushima et des sites Internet comme OurPlanet-TV ont certainement contribué à cet essor. Mais, en comparaison avec ce qui se passe dans d’autres pays, ce mouvement est encore balbutiant”, conclut Watai Takeharu.
Gianni Simone