En trois volumes captivants, l’auteur de Brave Story nous entraîne dans une aventure qu’il est difficile de lâcher.
Bon nombre d’auteurs de mangas sont enclins, on le sait, à imaginer des histoires qui se déroulent après des catastrophes qu’elles soient nucléaires ou militaires. Ôtomo Katsuhiro en a été l’un des précurseurs avec l’impressionnant Akira (Glénat) qui reste encore la référence en la matière. Aussi lorsqu’on découvre un nouveau manga dont le point de départ est une nouvelle catastrophe frappant la capitale japonaise, on se dit immédiatement qu’il y a un air de déjà-vu et qu’on risque de s’ennuyer ferme. Cette fois, il ne s’agit pas d’une explosion nucléaire ni d’une invasion de monstre. En ce 11 janvier 2038, le centre de Tôkyô et les personnes qui s’y trouvaient ont été victimes d’un phénomène étrange. Ce jour-là, 1 045 000 d’individus ont perdu la mémoire. Parmi eux, Ikurumi Noa, un adolescent de 15 ans, reprend connaissance et s’interroge sur sa propre identité jusqu’au moment où il découvre sa carte d’étudiant. Autour de lui, des centaines de personnes hagardes ont tout oublié de leur passé, ne reconnaissent même plus leur propre enfant. Bref, un cauchemar qui se poursuit lorsque les victimes, surnommées KID’z puisqu’ils sont comme des enfants sans connaissance, sont confinées dans une cité souterraine, Tokyo Geofront, le temps de trouver l’origine du mal qui les a privées de leurs souvenirs. Placés sous surveillance de ceux qui ont échappé à cet étrange mal, les valides, les habitants de cette ville implantée 1200 mètres sous terre sont victimes de discrimination de leur part. Mais Noa, qui a grandi, n’entend pas se laisser impressionner par ces gens malgré sa situation et son handicap. Il s’occupe de deux jeunes enfants qu’il a receuillis. Les amateurs de séries américaines se souviendront de Flash Forward pour la base de l’histoire, mais qu’ils se rassurent, Amnesia n’est pas une pâle copie de ce feuilleton qui n’a jamais connu de suite. Ono Yôichirô a créé un univers très intéressant dans lequel le lecteur se laisse facilement entraîner. Le jeune Ikurumi Noa n’est évidemment pas étranger à l’attrait que suscite le manga. Doué pour ne pas dire surdoué, il fait preuve de débrouillardise, capable de créer un robot et de se sortir de situations improbables. Malgré son côté petit génie qui pourrait en agacer plus d’un, Noa est plutôt attachant. L’auteur réussit à impliquer le lecteur dans ce récit cousu de fil blanc. C’est un tour de force qu’il convient de souligner, car ce n’était pas gagné d’avance. En effet, Ono Yôichirô donne à son personnage une épaisseur somme toute inattendue qui s’explique en grande partie par l’apparition dans l’histoire de Himiko, une jeune femme venue de l’extérieur. Elle lui apprend qu’il serait le créateur de l’engin qui a rendu les gens amnésiques. Himiko est, elle-même, poursuivie par la police pour un attentat. Noa se retrouve à son tour suspect aux yeux des autorités. La police enlève alors les deux enfants qu’il avait recueillis tandis que lui-même et plusieurs de ses amis sont arrêtés sans raison valable. Noa décide alors de se rebeller et d’utiliser son intelligence pour mettre au point un plan d’évasion et aller récupérer les enfants… A partir de là, tout s’enchaîne très vite et à la manière d’un bon film d’action, l’histoire prend une autre dimension, entraînant le lecteur dans une course haletante. A tel point que l’on dévore littéralement les trois volumes d’Amnesia comme on peut parfois rester scotché devant son écran de télévision quand une série met en place tout un appareil narratif plein de rebondissements. Déjà auteur du très remarqué Brave Story (Kurokawa) sur un scénario de la romancière Miyabe Miyuki, Ono Yôichirô prouve qu’il dispose d’un très bon coup de crayon, donnant à l’ensemble une belle cohérence graphique. Seul bémol, le personnage principal dont la chevelure est aussi surdimensionnée que son quotient intellectuel. Ce détail mis à part, Amnesia s’avère en définitive une belle réussite. Et à la différence de certains autres mangas qui ont parfois tendance à “tirer à la ligne” et à ne plus vouloir se terminer, cette courte série en trois volumes aurait avantageusement pu se poursuivre encore un peu. C’est donc le signe que le mangaka a bien maîtrisé son sujet et surtout réussi à nous tenir en haleine malgré un plan de départ plutôt classique. On ne peut donc que recommander sa lecture alors qu’il était passé un peu inaperçu au moment de sa sortie à la fin de l’été 2012.
Gabriel Bernard