Pour les éditeurs japonais, les règles du jeu ont changé dans l’univers du manga. Ils doivent désormais s’adapter.
Chez les éditeurs de l’archipel, cela fait quelques années déjà que le sourire a disparu des visages. Il y a eu un retournement du marché et l’on doit se creuser la tête pour trouver des recettes susceptibles d’attirer un public sollicité de toutes parts et de plus en plus exigeant. Pour comprendre ce changement, il suffit de prendre le train ou le métro. Il y a encore une quinzaine d’années, les voyageurs étaient plongés dans des livres ou des magazines quand ils se déplaçaient. Les hommes avaient souvent la tête dans le dernier numéro de leur magazine de prépublication préféré, tremplin indispensable pour les mangaka, et dévoraient des histoires dont ils parleraient avec leurs amis. Désormais, le papier a quasiment disparu des rames. Les gens pianotent sur leur téléphone portable, regardent des émissions de télévision, échangent avec leurs proches via les réseaux sociaux, mais ils ne lisent plus de manga ou presque. Autant il était facile par le passé de récupérer un de ces magazines abandonné par son propriétaire après lecture au cours de son déplacement, autant il est quasi impossible d’en trouver un aujourd’hui. Le changement d’habitude et ses conséquences sur le monde de l’édition remonte exactement à 2005 lorsque pour la première fois de l’histoire de l’édition du manga au Japon le chiffre d’affaires généré par les ventes de livres a dépassé celui des magazines, compliquant ainsi l’activité de nombreuses publications périodiques spécialisées dans le manga. Chez Kôdansha, l’un des leaders du secteur et éditeur de plusieurs magazines de prépublication, seul Shônen Magazine, le fleuron fondé en 1959, est encore bénéficiaire. Tous les autres titres y compris Young Magazine qui fut longtemps une de ses valeurs sûres connaissent désormais des difficultés. Pour s’en sortir les éditeurs ne peuvent compter que sur les recettes obtenues par la vente des mangas sous forme de volume. Mais comme le soulignent de nombreux observateurs, les mangas qui cartonnent aujourd’hui ne paraissent pas forcément dans les principaux magazines des éditeurs. Toujours chez Kôdansha, le manga qui se vend aujourd’hui le mieux, Shingeki no kyojin de Isayama Hajime (1,5 million d’exemplaires), n’est pas prépublié dans Shônen Magazine, mais dans Bessatsu Shônen Magazine apparu en 2009 et spécialisé dans les histoires fantastiques. Il en va de même pour Les Vacances de Jésus et Bouddha de Nakamura Hikaru qui paraissent non pas dans Shûkan Morning, mais dans le mensuel Morning 2. Seul Shônen Jump, l’hebdomadaire publié par Shûeisha est parvenu à limiter les dégâts. Il a certes perdu de sa superbe avec des ventes divisées par deux au cours de la dernière décennie, mais à la différence de ses concurrents, il attire encore des lecteurs réguliers grâce à des séries comme One Piece, son plus grand succès depuis des années. Il n’est pas étonnant que les personnages de Bakuman, mangaka en herbe, rêvent de pouvoir être publiés dans ce magazine. La prépublication reste encore aujourd’hui le passage obligé pour les auteurs, mais il est probable que dans les années à venir les choses évoluent encore. Chez les éditeurs, on scrute attentivement les chiffres de vente hebdomadaires pour savoir quelle série plaît ou pas pour la promouvoir ou l’éliminer. L’univers du manga est particulièrement dur et les éditeurs se montrent de plus en plus difficiles à satisfaire. Comme dans d’autres secteurs, ils veulent des résultats. Pour les mangaka, cela se traduit par un stress encore plus important. La réussite dans ce métier n’est pas assurée.
Odaira Namihei