Pour devenir mangaka, il faut bien sûr du talent. Mais cela ne suffit pas. Il faut faire preuve d’une volonté à toute épreuve comme le raconte si bien Bakuman dont la version animée sort en DVD.
Quatre années d’existence et 13 millions de volumes vendus. Tel est le bilan pour le moins flatteur du manga Bakuman [éd. Kana] signé par le duo Oba Tsugumi et Obata Takeshi, auteurs déjà remarqués de Death Note. L’hebdomadaire Shônen Jump appartenant à l’éditeur Shûeisha en a assuré la publication de janvier 2009 à juillet 2012, date à laquelle la série s’est achevée. Le manga est sorti en France, en juillet 2010, et compte aujourd’hui 13 volumes (au 4 janvier 2013)
Les raisons de ce succès sont multiples. D’une part, il est profondément ancré dans la réalité du quotidien de millions de jeunes Japonais qui peuvent facilement s’identifier aux différents personnages. Un quotidien où l’école et les examens occupent une place centrale avec peu de temps pour se distraire. Le manga constitue pour nombre d’entre eux un moyen de se changer les idées. Pour de nombreux lecteurs, le réalisme avec lequel les deux auteurs parviennent à décrire sans excès ce que vivent la plupart des familles explique aussi son succès transgénérationnel. A l’instar du film Colourful de Hara Keiichi (DVD chez Kazé) qui illustrait bien les rapports parents-enfants dans le contexte du collège, Bakuman explore aussi à sa manière l’univers scolaire nippon qui connaît depuis plusieurs décennies une profonde mutation. D’autre part, la possibilité de ne pas avoir à vivre une vie terne de salarié ordinaire, en devenant mangaka, explique aussi pourquoi Bakuman a séduit un public considérable. Enfin le manga offre une occasion rare de voir l’envers du décor, de comprendre comment fonctionne cette extraordinaire machine à rêver. Un point qui n’est pas non plus étranger à la réussite de Bakuman.
Une occasion rare de saisir le fonctionnement de cette machine à rêver
Fin 2009, celui-ci a terminé numéro un du classement annuel établi par Kono manga ga sugoi ! [Ce manga est formidable !], une référence dans le monde du manga. En France, il a été élu meilleur shônen de l’année lors des Japan Expo Awards en 2011. Il n’était donc pas étonnant que la télévision s’intéresse à son adaptation. Celle-ci est confiée au studio J. C. Staff qui a notamment produit avec succès Honey and Clover. A la différence de la plupart des séries d’animation, Bakuman est diffusé sur la chaîne publique éducative NHK Education. Cela lui donne une crédibilité supplémentaire auprès du grand public. La réalisation est assurée par Kasai Ken’ichi assisté par Akitaya Noriaki. Ce vétéran de J. C. Staff a une quarantaine d’animés à son actif. Son expérience profite largement à Bakuman dont la réalisation est nette et sans bavure. Il y a un côté un peu rétro qui s’ajoute au charme de l’histoire. La diffusion de la troisième et dernière saison qui a commencé en octobre 2012 s’achèvera au printemps 2013. Pour la petite histoire, la publicité étant interdite sur la chaîne publique, les auteurs de l’adaptation ont dû supprimer toutes les références à des produits existant notamment le magazine Shônen Jump, leader des magazines de prépublication dans l’archipel (voir encadré ci-dessous). Au Japon, les métiers du graphisme bénéficient d’une cote de popularité importante auprès des jeunes. Lorsqu’on connaît l’importance du marché (environ 3 000 milliards de yens par an), il est évident que les vocations sont nombreuses. Tout le monde ne souhaite pas devenir mangaka, néanmoins de nombreux lycéens s’exercent et s’inscrivent dans des écoles spécialisées. Dans l’archipel, on en recense plus d’une centaine. Sachant que le gouvernement japonais a fait de la culture populaire une de ses priorités dans le domaine de ses exportations, le secteur apparaît comme porteur, ce qui n’est évidemment plus le cas de l’automobile ou de l’électronique grand public. Par ailleurs, c’est aussi la possibilité pour les heureux élus de conjuguer plaisir et passion. Reste que ce n’est pas facile et Bakuman décrit de façon assez réaliste et inédite l’univers du manga.
Mais le rêve de devenir mangaka n’est pas réservé aux seuls Japonais. A travers le monde, et en France notamment qui demeure le second marché pour le manga après le Japon, les adolescents manifestent de plus en plus leur envie de créer aussi leurs propres histoires et personnages. Un peu partout dans l’hexagone, des écoles et des cours de manga se créent pour répondre à une demande de plus en plus forte. Outre les manuels destinés aux autodidactes, des associations comme Espace Japon et AAA à Paris ou ToulouseManga dans le sud-ouest et Espace Lyon Japon proposent des cours d’initiation ou des formations plus approfondies à un public toujours plus nombreux. L’intérêt ne devrait pas diminuer puisque les éditeurs commencent à publier des mangas signés par des auteurs français comme Jenny (Pink Diary chez Delcourt).
Reste qu’on ne s’improvise pas mangaka. Telle est la leçon que les deux héros de Bakuman comprennent très vite. Même si le jeune Moritaka Mashiro est un dessinateur doué, son oncle, qui fut lui-même mangaka, ne lui a jamais dit qu’il pourrait le devenir. Car c’est un métier exigeant. Outre le talent, il faut acquérir une expérience et un savoir-faire que seul un travail de longue haleine permet d’engranger. Un mangaka est comme un artisan qui travaille dans son atelier, son studio. Avec son camarade Takagi Akito, Moritaka va pouvoir profiter de celui qui appartenait à son oncle décédé par excès de dessins. Ils y trouvent tout le matériel utile pour la réalisation de leur rêve, notamment des collections incroyables de mangas (« mon oncle disait que la meilleure source de documentation pour faire un manga, c’étaient les mangas eux-mêmes »). Avec les planches originales de l’oncle de Moritaka, ils découvrent également des milliers de nemus, des mangas crayonnés, qui constituent la première étape dans le processus de réalisation d’un manga. « Il faut commencer par dessiner ça. On l’envoie ensuite à son éditeur. S’il donne son accord, on peut commencer à dessiner. Mais avant de donner son accord, il peut demander plusieurs fois de refaire les dessins », explique Moritaka. C’est une étape cruciale, surtout lorsqu’on travaille à deux. Le scénariste crayonne des pages pour que le texte s’accorde avec l’histoire. A partir de là, le dessinateur travaille le dessin et réfléchit lui aussi à la composition au fur et à mesure de sa progression. Une fois que ce principe fondamental est acquis, il ne reste plus qu’à se lancer dans l’aventure. Il faut alors déterminer le public auquel on s’adresse et imaginer un récit qui pourra retenir son attention. Ensuite une bonne maîtrise de la plume, en particulier la fameuse plume G que “tous les pros utilisent”. Il n’en faut pas plus pour être publié et peut-être connaître la gloire.
Odaira Namihei
Références :
Bakuman de Oba Tsugumi et Obata Takeshi, trad. par Thibaud Desbief, éd. Kana, 13 vol. déjà parus sur 20.
Bakuman de Kasai Ken’ichi, DVD chez Kaze, 39,95€.