Pour son quatrième roman publié en France, Higashino Keigo aborde avec brio deux sujets sensibles : le nucléaire et les brimades scolaires.
Higashino Keigo s’affirme aujourd’hui comme l’un des maîtres du roman policier au Japon. Chacun de ses nouveaux titres est assuré de finir en tête des ventes et ses adaptations télévisuelles ou cinématographiques suscitent l’engouement du public. Ce succès, il le doit à sa capacité à entraîner le lecteur dans des univers très variés où chaque détail est placé avec une précision d’orfèvre. Higashino Keigo est un artisan dans le sens noble du terme, un meishô comme on dit en japonais. Pour son quatrième roman publié en France, toujours chez Actes Sud dans sa désormais célèbre collection Actes noirs, le romancier explore un nouveau registre. Après deux aventures mettant en scène le professeur Yukawa dont les facultés de déduction sont d’un grand secours pour la police, l’éditeur français a choisi de publier un roman plus ancien La Prophétie de l’abeille (Tengû no hachi). Répondant sans doute à un désir de coller à l’actualité du moment, la crise nucléaire liée à l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi, Actes Sud s’est donc attaqué à la publication de cette histoire parue initialement au Japon en novembre 1995 (et pas en 1998 comme cela est indiqué en quatrième de couverture). Une année importante pour les Japonais puisqu’elle fut marquée par deux événements très importants : le séisme de Kôbe, le 17 janvier, et l’attentat au gaz sarin dans le métro de Tôkyô, le 20 mars. Tout au long de l’histoire, il est d’ailleurs régulièrement fait référence au tremblement de terre qui fit 5 357 morts. Quant à l’attentat perpétré par la secte Aum, il n’y est pas directement fait allusion, mais la base de l’histoire est la menace terroriste que fait peser un mystérieux groupe baptisé L’abeille du ciel. Celui-ci parvient à détourner un hélicoptère bourré d’explosifs et à le positionner au-dessus d’une centrale nucléaire, en promettant de le faire s’écraser sur le réacteur si le gouvernement ne décrète pas l’arrêt immédiat de toutes les centrales dans l’archipel. Pour les lecteurs japonais, la référence est évidente, car faire exploser une centrale nucléaire revient à provoquer une apocalypse à l’instar de celle qu’avait imaginée le gourou Asahara Shôkô dont la secte était entrée en possession d’un hélicoptère militaire russe. Il est intéressant aussi de souligner le choix du titre français de ce roman : La Prophétie de l’abeille alors que le titre original, traduit littéralement, signifie L’abeille du ciel. Il s’agit de vendre la catastrophe d’aujourd’hui, c’est-à-dire Fukushima. N’est-il pas écrit en quatrième de couverture : “Une intrigue imparable, portée par la préscience du désastre à venir”? Reste que l’auteur livre quelques réflexions sur les dangers de cette énergie toujours présentée de façon positive, se souvenant évidemment de Tchernobyl. “S’il se produit un accident majeur dans une centrale nucléaire, cela aura des répercussions sur des gens qui n’ont rien à voir avec le nucléaire. On pourrait dire que le Japon tout entier est à bord de l’avion qu’est l’énergie nucléaire. Et personne ne se rappelle avoir acheté un billet pour y monter”, explique l’un des protagonistes de l’histoire. La police doit identifier et arrêter les responsables du chantage avant qu’ils ne parviennent à exécuter leur plan. Comme toujours, Higashino Keigo met en œuvre un mécanisme bien huilé qui permet de suivre très clairement la progression de l’enquête et comme souvent, il conduit le lecteur vers un dénouement inattendu. C’est un peu la signature de ce romancier. Dans La Prophétie de l’abeille, il met en évidence un autre sujet problématique de la société japonaise : les brimades scolaires (ijime), un cancer social dont le pays n’arrive pas à se débarrasser et qui la ronge. La question a son importance dans le récit puisqu’à l’époque où l’auteur s’est lancé dans l’écriture de ce roman, elle commençait à faire la une des médias. La Prophétie de l’abeille n’est donc pas seulement un roman sur le nucléaire, mais bien une œuvre qui s’inscrit dans la réalité du Japon, celui des années 1990, pleines de doute. Higashino Keigo participe à sa façon au débat sans chercher à imposer une vérité. C’est donc en lisant un peu de littérature policière que l’on peut se plonger dans l’histoire contemporaine de l’archipel.
Gabriel Bernard