La Loi sur les secrets d’Etat suscite un vaste débat dans le pays sur les intentions des autorités en matière d’information.
Si les choix du Premier ministre Abe Shinzô en matière économique ont permis de ramener un peu d’optimisme après deux décennies de crise, certaines de ses décisions provoquent un certain malaise au sein de l’opinion publique. L’une d’elles concerne la Loi sur les secrets d’Etat auquel il tient tout particulièrement. Ce texte a pour objectif d’encadrer de façon très sévère la divulgation d’informations sur des sujets considérés comme sensibles. Il prévoit de classifier comme “secrets d’Etat spécifiques” les informations susceptibles de compromettre la sécurité du pays dans le domaine de la défense, de la diplomatie ou de la lutte contre le terrorisme. Ce sont les ministères et agences gouvernementales qui seront chargés de qualifier les informations considérées comme secrets d’Etat. Ces derniers pourraient être alors tentés d’abuser de leurs prérogatives en classifiant massivement les informations qu’ils jugent gênantes. La plupart des médias se sont élevés contre ce projet, car les journalistes sont évidemment en première ligne. La Loi sur les secrets d’Etat permettra le cas échéant de “les poursuivre et de les emprisonner” s’ils tentent de publier une de ces informations classifiées. Après les déclarations de Mori Masako, ministre chargée entre autres de la Législation, qui a expliqué, le 9 novembre, que la sécurité des centrales nucléaires devait être classée comme secret d’Etat, de nombreux journaux ont estimé que le texte pourrait servir à dissimuler des informations gênantes notamment au niveau de la gestion de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi. Les Japonais partagent dans leur très grande majorité ce sentiment. Dans un sondage publié par le Mainichi Shimbun le 12 novembre, 85 % des personnes interrogées exprimaient cette opinion et 59 % rejetaient la loi elle-même. Devant une telle levée de boucliers, le Parti libéral-démocrate (PLD) et son allié du Kômeitô ont accepté l’idée de nommer une “troisième partie” qui serait en charge de superviser les choix des ministères en matière de secrets. Les deux formations se sont entendues avec le parti Minna no tô pour que ce soit le Premier ministre lui-même qui assure ce rôle de “troisième partie”. Une décision “absurde” comme l’a souligné un député de l’opposition, mais qui constitue aux yeux du gouvernement une garantie suffisante pour assurer la transparence dans l’application de la loi. C’est bien sûr loin d’être le cas et on peut douter des intentions des autorités japonaises. Cette culture du secret pourrait bien avoir des effets négatifs sur la perception du Japon au-delà de ses frontières. Les représentants de la presse étrangère implantés dans l’archipel ont, fait rare, manifesté publiquement leurs inquiétudes à l’égard de cette loi. Martin Fackler, chef du bureau du New York Times à Tôkyô, l’a clairement expliqué dans le Mainichi Shimbun du 20 novembre. “On peut craindre que certaines informations soient cachées au peuple japonais, alors qu’il devrait en avoir connaissance”.
Gabriel Bernard