Kinokuniya est la librairie de référence au Japon. Dans le quartier de Shinjuku, son fief, on n’y échappe pas.
Impossible de s’intéresser aux librairies au Japon sans évoquer Kinokuniya. Avec quelque 64 succursales réparties dans tout le pays et plus de 26 dans le reste du monde, il est l’un des libraires les plus importants du monde. Avant d’être libraire, le fondateur était un marchand de bois et charbon implanté au cœur de la capitale. Il s’est installé en 1927 à Shinjuku à la suite du séisme qui a ravagé la capitale en 1923 pour devenir libraire. Aujourd’hui, l’entreprise compte 4 000 salariés, réalise un chiffre d’affaires de plus de 110 milliards de yens et a même créé sa propre maison d’édition spécialisée dans la culture.
Centre de la culture jeune dans les années 1960, la librairie a servi de décor à un film d’Ôshima Nagisa
Depuis qu’il a ouvert une nouvelle succursale à la sortie sud de la gare de Shinjuku, bon nombre de clients, en particulier les étrangers, préfèrent s’y rendre car elle est mieux pourvue en titres importés. Mais pour notre part, nous restons très attachés au siège implanté à Shinjuku-dôri, à la sortie est de la plus grande gare du monde. Ce lieu est en effet chargé d’histoire et il tire son charme du fait qu’il a été, pendant de très nombreuses années, le poumon de la culture jeune de Tôkyô. Non seulement c’était l’endroit qu’il fallait fréquenter pour acheter des livres, mais dans les années 1960, les fous de musique fréquentaient aussi son rayon de disques situé au premier étage pour y découvrir le dernier Beatles, Rolling Stones ou Bob Dylan. Ils se rendaient ensuite dans les étages supérieurs pour lire le dernier numéro de Heibon Punch, le “magazine pour les hommes” comme le revendiquait fièrement la couverture, afin de se tenir au courant des dernières tendances en matière de mode ou de voitures tout en se tenant informés des pratiques liées à la révolution sexuelle en cours. Le rôle de Kinokuniya sur la scène culturelle tokyoïte était tellement grand que le principal protagoniste du mythique film Journal d’un voleur de Shinjuku (Shinjuku dorobô nikki, 1969), réalisé par Ôshima Nagisa est pris en train de voler des livres dans cette librairie. Tabe Moichi, alors président de Kinokuniya, y fait même une apparition fugace. C’est lui qui a ouvert en 1964 le théâtre Kinokuniya avant de créer deux ans plus tard un prix qui récompense chaque année une compagnie théâtrale. L’entreprise pose comme principe qu’une librairie ne doit pas se limiter à la seule vente d’ouvrages. Elle constitue un centre de promotion des arts et de la culture. Une galerie d’art a ainsi été créée dans le bâtiment historique avant qu’un autre théâtre soit ouvert, en 1996, dans la succursale de la sortie sud de Shinjuku. Ce désir de promouvoir la culture a pris une dimension internationale avec l’ouverture en 1969 de la première filiale à San Francisco dans le but principal de faire connaître la culture japonaise.
L’exploration des huit étages de la librairie dont l’un au sous-sol prend un certain temps. Les guides touristiques et les cartes ont trouvé leur place au sous-sol tandis que les magazines ont élu domicile au rez-de-chaussée après avoir longtemps été la principale attraction du premier étage. La plupart des gens viennent feuilleter ou entamer la lecture (tachiyomi) de leur magazine préféré avant de se rendre à la caisse. Il n’est pas toujours facile de se frayer un chemin parmi les rayons. Le premier étage est celui de la littérature. Les amateurs d’économie et de sciences sociales ont rendez-vous au deuxième étage. A l’étage supérieur, les ouvrages sur les sciences et l’architecture. La médecine occupe le quatrième. Au cinquième étage, les enfants sont les rois avec une très large offre de livres qui leur sont destinés. Le dernier étage du bâtiment regorge d’ouvrages de référence. C’est un plaisir de se promener parmi tous ces ouvrages et de découvrir les efforts que le personnel déploie pour les mettre en valeur. Néanmoins devant tous ces livres en japonais, le visiteur étranger peut finir par avoir le tournis. C’est la raison pour laquelle le sixième étage est réservé aux ouvrages étrangers. Kinokuniya est connu pour être la librairie qui propose la plus large sélection de nouveautés venues du monde entier. Les dernières sorties françaises, anglo-saxonnes ou allemandes s’y trouvent. Les travaux universitaires y sont nombreux et il est probable que vous ne les trouverez pas ailleurs dans Tôkyô s’ils ne sont pas disponibles chez Kinokuniya.
Les amateurs de culture populaire japonaise qui pourraient être effrayés par l’apparent sérieux de cette librairie doivent se rassurer. Dans la rue située juste derrière le bâtiment principal, Kinokuniya a récemment ouvert une annexe baptisée Forest. Le rez-de-chaussée est consacré aux DVD et aux CD issus de l’univers de l’animation tandis que le premier étage permet de s’immerger dans le manga avec des milliers d’ouvrages racontant les aventures des héros les plus populaires du moment.
Jean Derome
Des libraires acteurs de la vie littéraire
Kinokuniya a en stock les dix ouvrages sélectionnés pour le Grand prix des libraires décerné chaque année. A la différence des autres prix littéraires, celui-ci est le résultat d’un vote des employés de librairies réparties sur tout le territoire. Pour l’édition 2014, on trouve, dans la liste des dix titres, les ouvrages qui ont été récemment couronnés par les deux principales récompenses littéraires du pays : le prix Akutagawa et le prix Naoki. Parmi eux, Kinokuniya met principalement l’accent sur deux ouvrages. Tout d’abord, Shima wa bokura to [L’Île et nous, éd. Kôdansha, inédit en français] de Tsujimura Mizuki déjà récompensée dans le passé par le prix Naoki. Dans ce roman, elle met en scène quatre adolescents vivant sur une petite île. Ils sont sur le point de la quitter pour leurs études. Mais avant de partir, ils apprennent à chérir leur famille, leurs amis et leur vie sur l’île. Le second est signé Yuzuki Asako. Lunch no akkochan [Le Repas d’Akkochan, éd. Futaba, inédit en français] raconte le quotidien d’une employée de bureau mal dans sa peau dont la vie est bouleversée par son nouveau patron. Celui-ci lui confie de nouvelles missions et l’entraîne dans des aventures culinaires. Parmi les qualités de ce roman, la précision avec laquelle l’auteur décrit les plats fait souvent monter l’eau à la bouche. ”