Pour profiter d’une des plus belles régions du Japon, rien ne vaut une petite balade en vélo pour aller d’île en île.
Malgré la vapeur qui se dégage d’un bain d’eau chaude, Jupiter est clairement visible au-dessus des eaux noires de la mer Intérieure qui scintille. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi cet hôtel s’appelle Bella Vista. Il est niché au sommet d’une colline à l’extérieur de la ville historique d’Onomichi et il bénéficie d’une sublime vue sur la multitude de petites îles qui émergent de la brume. Son bain d’eau chaude à l’extérieur (rotenburo) offre une vue imprenable et permet à la brise de venir vous caresser la peau alors que vous êtes en train de vous ramollir doucement dans cette eau bien chaude.
Les îles appartiennent au Parc national de la mer Intérieure dont on célèbre, cette année, le 80e anniversaire. Il est l’un des trois plus anciens parcs nationaux du pays. L’une de ses principales attractions est la Shimanami kaidô, un réseau de routes et de ponts long de 60 kilomètres qui relie la principale île du Japon, Honshû, à celle de Shikoku, la quatrième de l’archipel par sa surface. Son point de départ est Onomichi, dans la préfecture de Hiroshima. Elle vous fait traverser six petites îles avant d’aboutir à Imabari, dans la préfecture d’Ehime.
L’hôtel Bella Vista est un point de départ idéal. En plus de sa vue sur la mer, de sa source thermale (onsen) et de sa piscine, il dispose de deux restaurants, japonais et italien. Le dernier propose une cuisine originale et succulente qui s’inspire de la tradition italienne avec des apports japonais comme le fugu (poisson-globe) sur lit de tagliatelle et de fleurs de colza. Le petit déjeuner est servi dans le restaurant de style japonais, mais vous pouvez choisir de manger des plats à l’occidentale. Les menus changent tous les mois, mais le petit déjeuner à l’européenne est toujours composé d’œufs bénédictes et de petits plats d’accompagnement comme ces champignons servis dans une sauce à la mandarine, fruit que l’on trouve en abondance dans la région. Le lieu est parfait pour commencer la journée puisqu’il donne sur un jardin japonais avec ses lanternes en pierre et ses plantations délicates.
Avant de se lancer à la conquête des ponts, il convient de passer un peu de temps à Onomichi, une ancienne cité portuaire qui possède de nombreux temples et une histoire littéraire. Elle a été bâtie sur des collines qui dominent la mer. Il suffit que vous empruntiez le téléphérique qui vous mène au sommet de Senkôji pour découvrir un superbe panorama sur la ville et la mer. De là, vous pourrez redescendre vers le port en suivant le sinueux sentier de la littérature (bungaku no komichi). Au milieu des pins odorants, vous découvrirez vingt-cinq blocs de pierre sur lesquels ont été gravées des citations d’écrivains célèbres qui ont vécu ici au cours des siècles passés. Une fois arrivés en bas, vous serez en mesure d’aborder une autre spécialité locale : les râmen. L’un des plus célèbres restaurants spécialisés dans ces nouilles en bouillon est le Tsutafuji. Situé à proximité de la gare, ce petit boui-boui d’une dizaine de places implantées autour d’un comptoir en L est tenu par un couple depuis 50 ans. Il y a souvent la queue pour y manger. Aussi les clients prévoyants viennent avec leur manga ou leur console de jeux pour passer le temps. Une fois que vous avez réussi à y pénétrer, le chef vous demande simplement : “petit ou grand bol ?” En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, on vous apporte un bol garni de généreuses tranches de porc sous lesquelles de délicieuses nouilles fumantes baignent dans un bouillon à base de porc et de poisson.
L’estomac bien rempli, vous voilà prêts pour prendre la route qui va vous mener vers les îles de la mer Intérieure. Après le détroit d’Onomichi en direction de Mukaishima, vous passez dans une autre dimension et à un autre rythme. Le temps n’est plus le même, c’est celui des îles. La circulation se fait moins dense, la vitesse baisse. Vous vous retrouvez dans un univers de rêve au milieu de plantations d’agrumes coincées dans les plis des montagnes dont le vert foncé des feuillages tranche avec le bleu saphir de la mer.
Les agrumes constituent l’une des principales ressources de la région. Des mandarines aux oranges, en passant par les citrons et autres fruits hybrides uniques comme les hassaku et les anseikan, une sorte d’énorme pamplemousse. L’île de Setoda est le plus gros producteur de citrons du pays tandis que la préfecture d’Ehime est connue pour être le verger du Japon. On trouve des mandariniers sur le bord des routes. Il n’est donc pas étonnant que les spécialités à base d’agrumes abondent : gâteaux au hassaku, glace au citron, confitures, jus de fruits ou encore miel.
Comme vous vous apprêtez à emprunter les ponts, vous découvrez au-dessous un paysage incroyable composé d’une succession sans fin de petites îles. Certaines sont inhabitées, d’autres désertes ou simplement recouvertes de quelques pins. Au milieu d’elles, un cortège de chalutiers, de remorqueurs ou de cargos glisse à la surface de la mer. Les ponts sont de magnifiques structures qui émergent au-dessus des eaux calmes et dominent le paysage somnolant. Celui de Tatara avec ses haubans est le plus long pont de ce genre au monde. Ses tours en acier de 220 mètres de haut représentent les ailes repliées d’une grue. Long de 4 045 mètres, le pont de Kurushima est le plus long pont suspendu de la planète. Ce réseau d’ouvrages d’art a permis de désenclaver ces régions, mais une fois que vous quittez l’autoroute, vous vous retrouvez vite au cœur du Japon rural, au milieu d’une extraordinaire verdure parsemée ici et là de quelques maisons. De petits oiseaux blancs passent de branche en branche tandis que des faucons observent de haut ce spectacle.
En plus de cette richesse rurale idyllique, vous pouvez compter sur un nombre incroyable de curiosités artistiques et culturelles. A Setoda, vous trouverez le musée consacré au peintre natif de la région Hirayama Ikuo. Il est célèbre pour ses toiles consacrées à la Route de la soie. A proximité, ne manquez pas le temple Kôsanji, un lieu fantasmagorique réalisé en 1936 par le moine Kôsanji Kôzô en mémoire de sa mère. Il s’agit d’un ensemble de temples, de pagodes et de jardins magnifiques qu’il a mis trente ans à bâtir. Chaque bâtiment est inspiré par des constructions de différentes époques existantes à Kyôto ou encore Nikkô. En vous y rendant, vous accomplissez une sorte de voyage dans le temps.
Après avoir traversé le pont de Kurushima, vous atteindrez Imabari, dernière étape de la Shimanami kaidô. Cela vaut la peine de s’arrêter pour prendre la mesure de la beauté des paysages qui s’offre à vous.
Bien qu’à la base, la Shimanami kaidô soit une autoroute, elle a été pensée pour les cyclistes. Des pistes cyclables et piétonnières ont été aménagées tout au long du parcours, ce qui permet littéralement de “flâner” le long de la mer. Il existe quatorze stations de location de vélos, ce qui vous permet de faire le parcours à votre rythme. Si vous êtes fatigué, vous pouvez laisser votre bicyclette et emprunter un bus pour terminer le voyage.
Autre bonne nouvelle pour les amateurs de la petite reine, l’ouverture en mars dernier du premier hôtel au Japon conçu entièrement pour les cyclistes. L’Hôtel Cycle, à cinq minutes de la gare, vous permet notamment de monter votre vélo dans la chambre. L’établissement est situé dans l’enceinte de l’Onomichi U2 Building, un ancien entrepôt qui abrite également un restaurant, un café et la Shima Shop, une boutique spécialisée dans les produits du terroir comme la confiture de citron ou les filets de flétans séchés. Le même bâtiment dispose aussi d’un magasin de vélos appartenant à la marque taïwanaise Giant où les cyclistes trouveront tout ce dont ils ont besoin.
Dans le cadre des célébrations du 80e anniversaire de la création du Parc national de la mer Intérieure, les autorités organisent jusqu’en octobre la Shimanowa 2014 au cours de laquelle des dizaines d’événements se dérouleront dans les différentes îles. Les festivités culmineront le 26 octobre avec le marathon cycliste entre Onomichi et Imabari auquel participeront 8 000 personnes venues du monde entier.
Steve John Powell
Infos Pratiques :
Pour s’y rendre Si vous choisissez de partir d’Onomichi, il suffit d’emprunter le shinkansen jusqu’à Okayama où vous changerez pour la ligne Sanyô jusqu’à la cité portuaire. Il y a des shinkansen au départ de Tôkyô ou encore Ôsaka en fonction de votre lieu d’arrivée au Japon.
Si vous préférez partir d’Imabari, sur l’île de Shikoku, il faut également prendre le shinkansen jusqu’à Okayama où vous prendrez l’un des nombreux trains qui desservent Matsuyama via Takamatsu et Kanonji. Vous n’aurez qu’à descendre à Imabari.
Rencontre avec les Dieux à Ômishima:
Comme le dit la publicité, la préfecture d’Ehime est bien le paradis des cyclistes et la Shimanami kaidô constitue le meilleur chemin pour y parvenir. Il était donc logique de pouvoir croiser les Dieux sur sa route. La rencontre peut se faire sur l’île d’Ômishima, à peu près à mi-chemin entre Onomichi et Imabari. C’est plus exactement au sanctuaire Ôyamazumi qu’elle pourra avoir lieu. Chaque année, le 5 mai, au moment de la grande fête du repiquage du riz qui se déroule à l’entrée du sanctuaire, “nous organisons un combat de sumo entre un lutteur amateur et Ôyamazumi, le frère aîné d’Amaterasu, la déesse du soleil”, explique l’une des guides bénévoles, photos à l’appui. Si vous n’avez pas l’occasion d’assister à cet événement haut en couleurs, rassurez-vous, il y a bien d’autres belles surprises dans ce sanctuaire qui abrite les plus vieux camphriers du Japon. En son centre, trône d’ailleurs l’un d’entre eux qui aurait été planté du temps de l’empereur Jinmu, fondateur mythique de la dynastie impériale. On y trouve également l’une des plus belles collections de sabres et d’armures du pays puisque les guerriers venaient s’y recueillir avant de partir au combat. Un très bel endroit à ne pas manquer.
Gabriel Bernard