L’agression dont ont été victimes deux membres du groupe AKB48 a suscité un choc dans le pays.
C’est le groupe le plus populaire du Japon. Fondé en 2005, AKB48 est une machine commerciale extraordinaire qui rapporte chaque année des centaines de millions de yens. En 2012, le chiffre d’affaires généré par ce groupe à l’effectif changeant s’est élevé à 165 millions d’euros et les ventes de ses disques battent d’année en année de nouveaux records. Les 22 derniers singles du groupe ont tous occupé le haut du classement des meilleures ventes, parmi lesquels 17 ont dépassé le million d’exemplaires vendus. Au total, AKB48 a vendu plus de 30 millions de disques. La popularité du groupe s’explique par son concept imaginé par son fondateur Akimoto Yasushi. Il a mis sur pied une machine à rêver à laquelle le public participe activement. Son idée était de recruter de jolies jeunes filles âgées de 15 à 25 ans, formées pour chanter et danser, et de permettre au public de voter chaque année pour choisir les “meilleures”. En fonction de leur classement, elles figurent dans l’une des quatre sous-divisions du groupe. Désireux de créer “un groupe d’idoles que l’on peut rencontrer”, Akimoto Yasushi a aussi créé un théâtre à Tôkyô où elles se produisent tous les jours. Compte tenu de leur nombre, les jeunes femmes peuvent se produire dans différents endroits et apparaître régulièrement dans les nombreuses émissions de variétés de la télévision japonaise.
Cette réussite a incité Akimoto à créer des groupes similaires dans le reste du pays. AKB48 étant ancré à Tôkyô, dans le quartier d’Akihabara où les fans de culture populaire se rassemblent en nombre, il a mis sur pied SKE48 à Nagoya ou encore NMB48 à Ôsaka, poussant même l’expérience à l’étranger en fondant JKT48 à Jakarta, en Indonésie, et SHN48 à Shanghai, en Chine. Ce “groupe que l’on peut rencontrer” est donc souvent au contact du public. C’était le cas, dimanche 25 mai, à Takizawa, dans le nord de l’archipel, lorsqu’un jeune homme de 24 ans, Umeda Satoru, s’est attaqué à deux des membres d’AKB48. Kawaei Rina, 19 ans, et Iriyama Anna, 18 ans, ont été blessées et hospitalisées pour des coupures et des fractures aux doigts, tandis que l’assaillant a été arrêté pour “tentative de meurtre”. C’est la première fois que ce genre d’incident se déroule au Japon, provoquant un choc au sein de la population. Les principaux médias ont reporté l’incident. Les journaux télévisés ont ouvert sur la nouvelle et même les grands quotidiens ont rapporté l’information en première page. Le concert quotidien au théâtre d’AKB48 à Tôkyô a été annulé et la production a décidé de suspendre les rencontres entre le groupe et les fans, le temps de renforcer les mesures de sécurité.
Mais rien ne peut vraiment arrêter cette machine à gagner de l’argent. Quinze jours après l’incident, malgré une pluie diluvienne, plus de 70 000 personnes (en grande majorité des hommes) se sont retrouvées au stade Ajinomoto de Chôfu, à Tôkyô, pour participer à l’élection générale d’AKB48. Chaque année, les fans du groupe sont invités à choisir la leader parmi quelque 296 candidates. Au total, près de 2,7 millions de suffrages ont été exprimés, un record. La grande gagnante Watanabe Mayu a récolté 159 854 voix. Ce type d’événement permet non seulement d’entretenir ce fameux lien direct entre la formation et les fans si cher à Akimoto Yasushi, mais c’est aussi l’assurance de mettre du beurre dans les épinards pour son entreprise et l’ensemble de l’industrie du disque. Dans un secteur musical qui connaît dans son ensemble quelques difficultés, l’activité d’AKB48 est l’assurance de ventes confortables. En effet, bon nombre de CD du groupe disposent de contenus exclusifs qui incitent les fans à se les procurer. Il y a notamment les disques qui contiennent des bulletins de vote pour l’élection générale. Si en 2009, seulement 40 000 exemplaires s’étaient écoulés le premier jour de sa mise en vente, en 2014, Labrador retriever, leur nouveau single contenant un bulletin, s’est vendu à plus de 1,4 million d’exemplaires le 21 mai, date de sa sortie. C’est donc un cercle vertueux qu’a mis en place Akimoto Yasushi, un modèle à la fois économique et culturel qui fonctionne à plein régime.
Dans ces conditions, on comprend pourquoi le Mainichi Shimbun, l’un des principaux quotidiens de l’archipel, a rappelé dans son édition du 27 mai “la nécessité de protéger les idoles”. Il y a quelques années le très sérieux hebdomadaire AERA avait même expliqué que “AKB48 était en mesure de sauver le Japon” au moment où le pays était économiquement au plus bas. Le 15 décembre dernier, le Premier ministre Abe Shinzô a fait appel au groupe pour qu’elles se produisent devant ses invités à l’occasion du sommet de l’Asie du Sud-Est à Tôkyô. AKB48 peut aussi être une arme diplomatique.
Gabriel Bernard