HISTOIRE : Un cri qui résonne encore
Comme le laissait entendre la couverture du premier numéro du Cri qui tue publié en 1978, c’est un véritable coup de poing qu’ont reçu les quelques lecteurs de ce trimestriel lancé par Takemoto “Atoss” Motoichi. S’il n’est pas le premier à avoir fait paraître un manga en France – la revue Budo Magazine Europe en avait publié deux planches en 1969 pour illustrer un article –, il est celui qui a cherché à faire connaître ce mode d’expression de façon systématique dans un magazine spécialisé. « La seule inconnue est de savoir si le public français accueillera les bandes dessinées japonaises, si appréciées au Japon, avec la même facilité », se demandait-il alors. Il ajoutait toutefois que “plusieurs hebdomadaires font plus de 250 pages et sont publiés à plus d’un million d’exemplaires… De quoi faire rêver les éditeurs européens !” Avec une certaine prescience, Takemoto a compris avant beaucoup de monde le poids que le manga prendrait dans notre pays. Il ne s’est pas seulement contenté de publier les œuvres des grands mangaka du moment, il a fait preuve de pédagogie, en offrant à ses lecteurs trop peu nombreux une excellente introduction à l’histoire du manga, mais aussi à celle de l’animation qui, en 1978, commençait à envahir les petits écrans français. Dans l’éditorial du numéro deux, il souligne “[son] envie de créer un lien entre le lecteur français et [son] lointain pays”, tout en affirmant que “ce n’est pas du gâteau”. Il se heurte à de nombreux problèmes administratifs. “Je ne me doutais pas alors de la difficulté qu’il y a pour essayer de mettre en vente une revue en France”, reconnaît-il, ajoutant avec une pointe d’humour “la patience orientale n’est pas un vain mot”. Malheureusement, pour réussir dans l’édition, la patience seule ne suffit pas. Il faut aussi des moyens financiers dont Takemoto ne dispose pas suffisamment pour tenir et gagner des lecteurs. En quatre années d’existence, Le Cri qui tue a néanmoins fait œuvre utile, semant les graines d’un intérêt qui ne se dément désormais plus. Le trimestriel a introduit de nombreux auteurs comme Tezuka Osamu bien sûr, mais aussi Tatsumi Yoshihiro, Saitô Takao, Ishimori Shôtarô, Matsumori Tadashi ou encore le sympathique Akazuka Fujio. Beaucoup d’entre eux sont désormais traduits en français grâce au travail d’éditeurs qui ont pris le relais de Takemoto après avoir été impressionnés par son enthousiasme.
Odaira Namihei
En avance sur son temps, Takemoto a introduit le manga en Europe grâce au Cri qui tue, un trimestriel aujourd’hui quasi introuvable, avec les plus grands artistes japonais de l’époque. © collection Claude Leblanc