Avec Les Gardiens du Louvre, Taniguchi Jirô propose une œuvre haute en couleurs, invitant à l’introspection.
Depuis qu’il a réalisé son fameux carnet de voyage sur Venise pour le compte de Louis Vuitton, Taniguchi Jirô reconnaît sa passion pour la couleur et le travail qui accompagne son utilisation. C’est la raison pour laquelle il s’est attelé à la réalisation des Gardiens du Louvre avec l’envie de donner aux lecteurs non seulement une histoire originale, mais aussi de leur offrir un récit éclatant de couleurs. Si la publication au Japon sous forme de feuilleton s’est faite en noir et blanc – dans la presse magazine, c’est une habitude –, l’édition française respecte le désir initial du mangaka. Le résultat est tellement impressionnant que les Japonais disposeront eux aussi d’une version originale en couleurs qui leur permettra de prendre la mesure de la beauté des lieux visités par le personnage principal, un dessinateur décidé à découvrir Paris et ses musées.
Il ne s’agit pas pour autant d’une sorte de guide touristique graphique même si la façon de dessiner le plus grand musée du monde a de quoi inciter les plus rétifs d’entre nous à s’y rendre. Comme souvent avec Taniguchi, il s’agit d’un récit initiatique. Le Louvre comme d’autres choses importantes dans la vie, ça se mérite et ça se déguste comme un bon vin. Dans un endroit aussi chargé d’histoire qu’est ce musée, il y a forcément autre chose qu’une succession de toiles ou de sculptures. Dans les années 1960, Claude Barma, talentueux homme de télévision, avait imaginé l’existence de Belphégor ou le fantôme du Louvre. Le feuilleton avec notamment Juliette Gréco est devenu une référence pour toute une génération, en raison de son côté fantastique et étrange. Le Louvre suscitait alors davantage la peur que le plaisir de s’y rendre.
Dans Les Gardiens du Louvre, le mangaka fait aussi appel au fantastique pour construire son histoire. A la manière de Quartier lointain (Casterman), il transporte son personnage dans le temps et dans l’espace à la rencontre de la mémoire de ce merveilleux endroit “situé à la frontière du rêve et de la réalité”, mais surtout pour rappeler au lecteur l’importance de savourer les choses.
On retrouve donc dans ce bel ouvrage l’une des obsessions du dessinateur qui, depuis L’homme qui marche (Casterman), encourage ses contemporains à prendre le temps et à ne pas se comporter en consommateurs compulsifs. Lorsque le héros de l’histoire se retrouve nez à nez avec le premier des gardiens après son malaise qui le télétransporte dans une autre dimension, le héros demande à voir La Joconde. Surpris de découvrir le tableau de Léonard de Vinci dans une salle vidée de la foule habituelle, son accompagnatrice de l’autre dimension, le ramène soudain à la réalité pour l’amener à réaliser que “tout ça n’est guère propice à la contemplation picturale”.
Le grand mot est lâché : contemplation. “Il faut saisir dans la nature un ordre de beauté qui la dépasse”, assure un autre de ces gardiens. Tout est là dans ces quelques phrases et dans la construction graphique du récit qui accorde beaucoup d’importance aux sensations visuelles. A la lecture des Gardiens du Louvre, on peut saisir le plaisir qu’a pu ressentir Taniguchi en la réalisant et peut-être sa frustration quand elle a été publiée initialement en noir & blanc. Car le travail de la couleur dans ce manga en particulier lui donne une dimension supplémentaire et le sublime. On peut se demander si l’auteur de Terre de rêves (Casterman) est tenté par une nouvelle carrière de peintre. Que nenni, Taniguchi rappelle : “sans le dessin, la peinture ne saurait exister”. En ce sens, Les Gardiens du Louvre peuvent être considérés comme une œuvre introspective de Taniguchi qui souhaite bien sûr rendre hommage à l’art et à cette institution qu’est le Louvre, mais qui s’interroge aussi indirectement sur sa qualité de mangaka. Il le fait de bien belle manière avec cette force tranquille qui caractérise une très grande partie de son œuvre. Il ne vous reste plus qu’à en profiter.
Gabriel Bernard