Au cours des derniers mois, les éruptions volcaniques et les séismes se sont multipliés. Faut-il se préparer au pire ?
Les amateurs japonais de sensations fortes étaient déçus samedi. Prévue le 30 mai, la sortie de San Andreas, le film catastrophe de Brad Peyton, a été repoussée sine die. Sur le site officiel du long-métrage intitulé au Japon California down, un court message d’excuses indique que les spectateurs devront patienter pour savoir comment Dwayne Johnson parvient à surmonter le déchaînement des éléments en Californie. Si le distributeur Warner Bros a décidé de les empêcher d’avoir des frissons en regardant les effets spéciaux du blockbuster hollywoodien, la nature s’est chargée d’offrir à l’ensemble de la population japonaise une belle dose de frayeur. A 20 h 24, un séisme de magnitude 8,5 sur l’échelle ouverte de Richter, ramenée dimanche à 8,1, s’est produit à environ 700 kilomètres au sud de Tôkyô, dans l’archipel des Ogasawara. Ce tremblement de terre, le second plus puissant jamais enregistré depuis 1885 après celui du 11 mars 2011 qui avait fait plus de 18 500 morts dans le nord-est du pays, a été ressenti sur tout le territoire à des degrés divers allant de 1 à 5 fort sur l’échelle japonaise d’intensité qui compte 7 niveaux. “J’ai eu l’impression d’être sur un bateau pris dans une tempête”, a raconté un habitant vivant au 40e étage d’un immeuble de la capitale. La secousse a été assez forte pour bloquer les ascenseurs et suspendre le trafic ferroviaire pendant plus d’une heure, notamment sur la ligne à grande vitesse reliant Tôkyô à Ôsaka.
Malgré l’intensité du séisme dans la métropole qui a rappelé à certains celle du 11 mars 2011, il n’y a eu aucun mouvement de panique et aucun dégât important. Au total, une douzaine de personnes ont été blessées, mais, en lisant la presse du lendemain qui a fait ses gros titres sur l’événement, la population a bien conscience d’être passée à côté d’une catastrophe. “C’est une chance que l’épicentre se soit trouvé à environ 590 kilomètres de profondeur”, a d’ailleurs expliqué un responsable de l’agence de Météorologie nationale lors d’une conférence de presse quelques heures après le tremblement de terre. S’il avait été à 14 kilomètres comme cela a été le cas au Népal, le mois dernier, les conséquences auraient été bien différentes et sans doute plus dramatiques.
“Il n’y a pas que les séismes. Ces derniers temps, on recense de nombreuses éruptions volcaniques. Franchement, ça me fait peur”, confie Akiyama Yuhiro, photographe pour le quotidien local Ishinomaki Hibi Shimbun, qui a vécu les événements tragiques de 2011. Pourtant située à plus de 1 500 kilomètres de l’archipel des Ogasawara, la cité portuaire d’Ishinomaki n’a pas échappé à la secousse du 30 mai. “L’éruption du mont Ontake à l’automne dernier, l’alerte lancée autour du mont Hakone proche de la capitale au début du mois et l’éruption fin mai du mont Shindake sur l’île de Kuchinoerabu au sud du pays ne me disent rien de bon”, poursuit le journaliste. Il aurait pu ajouter le réveil du mont Asama au nord-ouest de la capitale. Le niveau d’alerte autour de ce volcan a été relevé, mais les autorités ne semblent pas pour le moment inquiètes de son regain d’activité. Dans cette partie du Japon déjà frappée par un tremblement de terre dévastateur en septembre 1923, les habitants s’attendent à connaître prochainement un autre méga séisme. Sur TV Asahi, le professeur Koketsu Kazuki, sismologue à l’université de Tôkyô, a voulu rassurer la population en expliquant que le séisme du 30 mai ne constituait pas forcément les prémices du “big one” que tous les habitants de la mégalopole redoutent. “Il faut néanmoins le considérer comme une bonne occasion pour nous y préparer”, a-t-il ajouté. Dans les médias, sans pour autant chercher à susciter inutilement l’inquiétude de la population, on s’interroge sur la multiplication de ces manifestations de la nature. Le Mainichi Shimbun, dans son édition du 18 juin, a publié un article très intéressant à ce sujet. S’appuyant sur une étude comparative de l’activité sismique de l’archipel au IXe siècle et aujourd’hui réalisée par l’institut de recherches Sangyô gijutsu, le quotidien souligne de nombreuses similitudes entre les deux époques. Ce que l’on sait, c’est que le IXe siècle a été particulièrement agité d’un point de vue sismique et les documents étudiés par les chercheurs montrent que plusieurs séismes se sont produits dans des zones similaires à ceux enregistrés depuis le milieu des années 1960 et à des intensités quasi identiques. Le journal rappelle également que l’activité sismique s’est accompagnée d’une activité volcanique plus importante qu’à l’accoutumée. Tout cela a fini par le violent tremblement de terre de 887 au sud de l’archipel qui a provoqué alors de nombreux dégâts. Il est bien sûr difficile de déterminer si cette même région connaîtra prochainement un séisme de forte intensité. Les spécialistes affirment que les probabilités sont fortes pour qu’il s’en produise un dans les 30 prochaines années sans pour autant être en mesure de le prouver. Toutefois, le risque existe bel et bien. Voilà pourquoi les Japonais se montrent particulièrement vigilants à l’égard de tous les caprices de la terre. Ils savent qu’il est important et surtout indispensable de se préparer au pire. Du point de vue des infrastructures, le séisme du 11 mars a montré que la plupart des constructions avaient résisté à la secousse de magnitude 9 sur l’échelle de Richter. Mais certaines d’entre elles ont fait pâle figure devant la puissance du tsunami qui a suivi.
Dès lors, l’une des questions les plus sensibles concernant une telle éventualité porte sur la sûreté nucléaire au moment où le gouvernement d’Abe Shinzô souhaite relancer certains réacteurs à l’arrêt depuis l’accident de la centrale de Fukushima Dai-ichi il y a quatre ans. Malgré le renforcement des normes par l’Autorité de régulation nucléaire, de nombreuses voix estiment que les installations ne seront pas en mesure de résister à un tsunami généré par un séisme géant. En août 2014, une simulation portant sur un séisme de magnitude 7,5 en mer du Japon montrait que la déferlante pouvait atteindre plus de 23 mètres à certains endroits. De quoi donner de vraies frayeurs aux Japonais, y compris à ceux qui auront pu finalement voir San Andreas. Car chacun sait que la nature est en mesure d’exprimer une puissance dévastatrice bien plus forte que celle imaginée par les scénaristes les plus talentueux.
Gabriel Bernard