Le vieillissement de la population et l’exode rural remettent en cause l’existence des matsuri en province.
A l’approche de l’été, Iwai Toshio sort du fond de son placard une veste bleue aux motifs traditionnels – un habit spécial pour les matsuri – pour la dépoussiérer. Un moment discret certes, mais très gai pour cet agriculteur de 75 ans, car il sert de prélude à la préparation du festival de Hitoboshi. Il s’agit d’un événement qui marque l’été pour les habitants de Nanmoku, petit village niché dans la région montagneuse de la préfecture de Gunma, au nord de Tôkyô.
Chaque année en août, dans la douceur de la nuit, des villageois et des touristes se réunissent autour d’une rivière pour assister à un spectacle de feu, point culminant de ce matsuri. Deux ou trois hommes, fièrement montés sur un pont, font tournoyer de toutes leurs forces des faisceaux de paille embrasée. Le feu perce l’obscurité de la nuit en traçant des cercles de deux trois mètres dans l’air. Ce spectacle est suivi par un défilé rythmé par les roulements des tambours et les chants des flûtes, qui mène à un temple, le centre spirituel de Nanmoku.
Or, ce matsuri, dont l’origine remonte au XVIe siècle, est menacé de disparition. La population d’Ohinata, district qui l’organise, ne cesse de diminuer depuis des décennies. “Les jeunes sont partis du village, Nanmoku est de plus en plus vide. Il est très difficile de maintenir cette tradition”, raconte M. Iwai, responsable de l’organisation du festival. “C’est la dernière activité collective de la sorte qui reste dans ce district. On a dû abandonner les autres en raison du manque de personnel. Mais celui-là, on ne peut pas le laisser tomber”, poursuit-il.
Le vieillissement de la population et le dépeuplement des régions rurales, cancers qui rongent petit à petit le pays du Soleil levant, frappent ce petit village plus fort qu’ailleurs. Ici, plus de 55 % de la population a plus de 64 ans. Avec ce taux, Nanmoku est la ville la plus vieille du Japon. Faute de sang frais, les locaux peinent à faire perdurer le matsuri. Ceux qui impressionnaient les touristes sur le pont n’ont plus la force physique pour jouer dans ce spectacle. “Nous sommes fiers de ce matsuri, classé comme patrimoine culturel de la préfecture. Je suis résolu à le garder aussi longtemps que possible”, affirme Iwai Toshio avec l’accent montagnard propre à la région.
Shiraishi Atsushi, membre de la chambre de commerce de Nanmoku, chargé d’organiser les autres matsuri du village, se montre pessimiste quant à l’avenir de cette tradition. “La situation est vraiment difficile. On craint effectivement sa disparition”, raconte-t-il sans émotion. “De plus, la population d’ici diminue de plus en plus chaque année. Les mesures qu’on peut prendre sont limitées”, continue-t-il. Sa résignation face au dépeuplement rappelle que Nanmoku est catégorisée comme une genkai-shûraku (localité menacée), un terme sociologique désignant des communautés où la population de plus de 64 ans dépasse le seuil des 50 %. Un euphémisme statistique pour dire que cette commune de 2 000 habitants ne peut plus assurer les besoins de base de ses villageois, comme les mariages, les funérailles et l’éducation. Le bilan ne trompe pas. En quarante ans, la population de Nanmoku a été divisée par quatre.
La situation de ce village n’est que la partie émergée de l’iceberg. En 2011, le ministère des Affaires intérieures a publié des chiffres chocs : au niveau national, plus de 10 000 localités figurent sur la liste des genkai-shûraku. On estime à 2 300 celles qui vont disparaître tôt ou tard, et une centaine a déjà été rayée de la carte depuis 2007. Inutile de dire que la disparition d’une communauté implique la mort des cultures et des traditions qui lui sont propres, y compris les matsuri. Faute de statistiques fiables, nul ne sait combien de ces festivals ont déjà disparu.
Face à ce constat alarmant, le ministère s’est lancé dans la lutte contre le vieillissement pour sauver les traditions rurales. L’Etat soutient, par la voie d’une subvention de 3,5 millions d’euros par an, des projets ayant pour but de redynamiser les régions les plus touchées. Pourtant, “ces aides financières ne suffiront pas à endiguer la disparition des matsuri”, estime Nakane Hiroshi, chercheur pour Japan Tourism Marketing, un think tank spécialisé dans le tourisme. Pourquoi ? Parce que la racine du problème se trouve dans la concentration de la population dans de grandes villes. Des jeunes, une fois partis dans les villes comme Tôkyô pour le travail ou pour les études, ne rentrent plus chez eux. Il s’agit d’un phénomène qui dure depuis plus d’un demi-siècle au niveau national. “C’est un revers de la croissance économique”, analyse-t-il.
Si on veut que les matsuri survivent à cette situation, il faudrait “revoir cette structure de la société japonaise” par des “mesures concrètes contre le vieillissement et le dépeuplement”. Force est de constater qu’il faut renverser l’afflux de population vers les grandes villes. Et c’est là que M. Nakane entrevoit un rôle pour les matsuri. “Si on réussit à redonner ses lettres de noblesse à la province grâce aux matsuri, on pourrait inciter des jeunes à s’installer dans des régions rurales”.
Plus facile à dire qu’à faire. Loin de là. Les villes comme Tôkyô, Nagoya et Ôsaka continuent à absorber massivement la population d’autres régions. En 2013, le nombre de personnes qui ont déménagé dans la capitale a dépassé de 70 000 celui des Tokyoïtes qui en sont partis. Une tendance bien ancrée depuis près de vingt ans. De quoi laisser augurer un avenir difficile pour les matsuri qui appartiennent pourtant à une tradition ancestrale.
Yagishita Yûta