En suivant la ligne Kisei qui longe toute sa côte, vous verrez toute la richesse de cette région qui vaut plus qu’un détour.
Occupant une position idéale au fond d’une large baie, la charmante ville de Kii-Katsuura s’étend en demi-cercle, colorée par les nombreuses coques aux couleurs vives de ses thoniers à quai. Fière de ses traditions marines, elle abrite un spectaculaire port de pêche ainsi que le marché au thon frais le plus animé du pays (7h le matin, sauf le week-end). Certains spécimens déchaînent les passions pour leur rareté. Il n’est pas rare de voir des commanditaires de grandes chaînes de restaurants de sushis les acquérir à prix d’or pour ensuite les envoyer dans des caisses au grand marché de Tsukiji à Tôkyô.
A 300m de la gare sur le chemin du port, stop possible aux relaxants et dépaysants bains de pieds publics. En périphérie de la ville, accès à deux fabuleux onsen présents dans deux grands hôtels privés mais parfaitement accessibles au public et aux touristes. Le premier situé en bout de presqu’île, l’hôtel Urashima (1165-2 Katsuura, Higashimuro-gun, Nachikatsura-chô) apparaît comme un dédale d’escaliers et de tunnels aménagés dans un bloc rocheux. Il dispose de bains judicieusement aménagés dans des grottes débouchant sur la mer, un vrai dépaysement !
Le second, le ryokan Nakanoshima (Higashimuro District, Nachikatsuura) jouit d’une situation exceptionnelle sur une île privée fermant la baie de Kii-Katsuura. Accès en ferry privé depuis l’embarcadère du port. Bassins intérieurs et extérieurs alimentés par des sources chaudes, le onsen extérieur étant une petite perle à dimension paradisiaque. Repas traditionnels kaiseki en sus si souhaités au restaurant. Agréable jardin boisé en terrasse sur le toit de l’hôtel surplombant la mer.
Le phénomène géothermique lié à la beauté des paysages de collines, vallées et forêts, assure à cette région un cachet et une manne touristique incontestable. Les Français n’ont plus la tradition des thermes, aussi faudra t-il qu’ils se soumettent à un rituel d’initiation de l’art du bain avant toute entrée dans un bassin japonais.
On se lave soigneusement au savon dans un espace dédié avant de rentrer dans l’eau, on se rince abondamment en s’aidant des baquets en bois. Afin de n’offenser personne, il faudra toujours avoir à l’esprit qu’il ne s’agit pas de faire sa toilette mais de se prélasser, se relaxer, se ressourcer et de profiter de la symbiose avec la nature.
L’eau peut être plus ou moins saline, sulfureuse, ferrugineuse ; certaines personnes peuvent être au début incommodées par les vapeurs de soufre mais n’ayez aucune crainte, cela ne présente aucun danger et s’estompe au bout de quelques minutes. Dans ces bains règnent toujours, esthétisme, harmonie de la pierre, du bois et du végétal.
Détail important, il faudra se résoudre au fait que l’on se baigne totalement nu ! Les plus pudiques rentreront dans le bassin, équipés d’une petite serviette blanche qu’ils poseront sur la tête une fois totalement immergés! Femmes et hommes iront systématiquement chacun de leur côté! Dernière recommandation, ne restez pas plus de 20 minutes dans une eau à plus de 50 degrés, la sensation de bien-être qui vous envahit n’est pas proportionnelle au temps resté dans le bassin, elle reste constante!
A une trentaine de minutes de Kii-Katsuura, se trouve Kushimoto. Au sortir de la petite gare, à l’extrémité sud de la péninsule, de surprenantes formations géologiques vous attendent sur le rivage. Cet étrange et harmonieux alignement de rochers émergeant de la mer, Hisha Gui Iwa, se trouve intimement associé à une légende.
Autrefois, la population de Kushimoto aurait tenté de construire un pont reliant la presqu’île de Kii à l’île de Kii-Oshima juste au dessous. Mais la construction achevée était systématiquement détruite par Amanojaku, gigantesque créature aquatique. Pour venir en aide aux habitants démunis, l’éminent Kôbô-Daishi, grand religieux et saint fondateur de l’école bouddhiste Shingon essaya alors d’intervenir en proposant ses services pour l’édification du pont. Le monstre Amanojaku accepta en posant l’incroyable condition : “Kôbô-Daishi devra construire l’ouvrage seul ! Je vais lui donner la force de 100 chevaux et lui accorder une journée et une nuit de travail, pas plus ! A l’aube, au chant du coq, il devra s’arrêter !”.
Le célèbre moine se mit à jeter de grands blocs rocheux dans la mer dans la direction de l’île de Kii-Oshima. Devant la réussite et la bonne avancée du projet de Kôbô-Daishi, Amanojaku prit peur ! Pour gagner son pari, il décida alors de tricher en imitant le chant du coq bien avant le lever du jour. Le pont ne fut ainsi jamais fini !
A seulement 30 minutes de bus de la gare, on peut rejoindre l’île de Kii-Oshima par un pont contemporain bien réel celui-là ! Ce morceau détaché de la grande île principale se brise en une myriade de petites îles baignées par l’océan. Du haut du phare d’Oshima, la vue sur le Pacifique s’avère splendide !
C’est sur la côte est de l’île Kii-Oshima, dans la nuit du 18 septembre 1890, que s’échoua l’imposante frégate turque l’Ertuğrul. Cette dernière venait de quitter le port de Yokohama en direction de Constantinople. Pris au piège dans une tempête effroyable et soudaine, l’équipage tenta coûte que coûte en réduisant la voilure de gagner le port de Kôbe pour se mettre à l’abri.
Arrivé à hauteur du cap de Kashinozaki déjà signalé à l’époque par le phare d’Oshima, les assauts répétés de hautes vagues déchaînées brisèrent le mât de 40 mètres de la frégate. Le navire ne disposant plus de propulsion, se mit à dériver dangereusement et heurta les récifs. L’eau envahit alors rapidement la salle des machines et une seule solution s’offrit à l’amiral Ali Osman Pasha avant que le niveau n’atteigne le pont : l’évacuation et la mise à l’eau des radeaux de survie.
Suite au naufrage, 50 officiers et 533 marins trouvèrent la mort, mais six officiers et 63 marins furent sauvés grâce à l’intervention des habitants de l’île et à l’opération de sauvetage de la marine japonaise. De cet événement naquit une rare entente cordiale entre les deux nations et un élan de sympathie entre les deux peuples. Le grand sultan de Turquie alla jusqu’à recevoir à Constantinople les officiers japonais des navires de sauvetage pour leur remettre des décorations. L’empereur en personne est venu se recueillir sur les lieux en 1929 ainsi que plus récemment, le président turc Abdullah Gül en 2008.
A côté du phare d’Oshima furent aménagés en mémoire de la catastrophe, un cimetière avec les dépouilles des marins turcs, un monument commémoratif, ainsi qu’un musée (Kushimoto Turkish Memorial and Museum 1025-26 Kashino, Kushimoto 649-3631) ! Un projet de renflouement, puis d’exposition de l’Ertuğrul restauré est en cours.
En poursuivant le long de la côte, on finit par atteindre Shirahama (littéralement ‘plage blanche’), le bord de mer sauvage, d’un sable blanc immaculé (importé d’Australie), contraste avec les nombreuses constructions hôtelières modernes, parcs d’attraction, aquarium… en arrière de la ville. La grande plage en demi lune aux eaux bleues transparentes offrira une charmante halte baignade et rafraîchissement avant de poursuivre l’exploration de cette côte ouest. Attention! La première station balnéaire du Kansai se retrouve chaque année bondée en juillet et août, saison des bains de mer, et quasi déserte le reste de l’année.
Pour les amateurs de randonnées ou d’expériences spirituelles, rendez-vous à Tanabe. Point d’accès et de départ aux chemins de pèlerinage millénaires du Kumano Kodo (inscrits au Patrimoine mondial de l’UNESCO), la station balnéaire de Tanabe doit aussi sa renommée aux nombreux petits restaurants ou gargotes, appelées izakaya. Ainsi avant de partir à la recherche des kamis (divinités shintoïstes) dans les forêts de la péninsule, les pèlerins peuvent prendre des forces en savourant poissons et fruits de mer.
En empruntant à pied la rue principale, on rejoint après 5 minutes la statue du fondateur (Ueshiba Morihei) de l’aïkido qui trône devant la grande plage d’Ogigahama. Dans le temple Kôzan-ji voisin, il sera également possible de se recueillir devant sa tombe. Le charmant parc Kagura à proximité pourra conclure la promenade.
La fabrique d’umeshu de Nakata (1475 Shimomisu, Tanabe) située à 8 minutes en bus de la station JR Kiitanabe) vaut aussi le déplacement. Célèbre depuis l’ère de Nara (710-794) pour son bienfait pour la santé et son taux élevé d’acide citrique, l’ume de la province de Kishû est récolté chaque année au mois de juin, pas encore tout à fait mûr. Dans le but de conserver les vertus de cette prune à l’apparence d’un abricot, les Japonais ont inventé au début de l’ère Edo, la liqueur umeshu. Le processus d’élaboration du précieux nectar : stockage au préalable dans du sel, rinçage, macération avec adjonction de sucre kori-zato et d’alcool de riz ou saké, puis maturation.
Tout proche, le village de Yuasa demeure le berceau de la sauce soja au Japon. De grands chefs cuisiniers de Tôkyô mais aussi Français viennent sur place pour s’approvisionner avec la meilleure production artisanale datant de trois siècles et n’ayant jamais dévié de sa composition originelle.
Visite de la fabrique de la sauce soja Kadocho – La préparation de la sauce shôyu s’effectue toujours de manière artisanale par un procédé de chauffage au bois. Le décorum ressemble à une vieille grange abritant de profondes cuves en cèdre dans lesquelles se joue la réussite de la fermentation. Des ouvriers mélangent à la main selon un planning bien précis, peu l’hiver et régulièrement l’été, l’assemblage de blé, de soja, de sel et d’eau. Après filtrage et extraction à l’aide d’une ancienne presse, on obtient le graal : une sauce onctueuse, odorante, à la couleur d’ambre, le tamari. Plus recherchée et raffinée encore, la nigori, accompagne parfois les mets de poissons et légumes grillés des grands restaurants parisiens. La production de Kadocho reste confidentielle au regard de la consommation nationale de sauce de soja. Un petit musée juste en face (7 Yuasa-chô Arita-gun). Il est ouvert uniquement le week-end et sur réservation au 0737-62-2035.
Dernière étape de ce périple dans la péninsule de Kii, Wakayama. En sortant de la gare moderne intégrée au grand complexe commercial, quittez le brouhaha urbain en empruntant le bus jusqu’à l’arrêt Kôen-mae au pied du très bel ensemble paysager composé de cerisiers et pruniers entourant le célèbre château de la ville (3 Ichibanchô, Wakayama).
Ce dernier édifié en 1585 en haut d’une formation rocheuse, le mont Torafusu, est visible depuis toute la ville avec ses jolis toits en auvent et ses murs blancs. Sa particularité : le concept architectural nommé Renritsu-shiki. Il se compose d’un donjon de trois étages, de liaisons couvertes entre les tours et le donjon ainsi que deux portes remarquables dont la porte Okaguchi classée au patrimoine culturel national. Au XVIIe siècle, il a su résister aux grandes batailles de Sekighara et de Kashii (siège d’Ôsaka).
La construction d’origine fut malheureusement détruite à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais reconstruite à l’identique en 1958. Au cœur de l’édifice, dans la cour principale, siège le jardin zen Momijidani avec son salon privé. De toute beauté, il provoque à coup sûr chez chaque visiteur désirant s’initier au wabi-sabi, une réelle émotion esthétique.
Autre style, le musée d’Art moderne de Wakayama (1-4-14 Fukiage Wakayama). L’architecture moderne du bâtiment avec ses célèbres pans de toiture béton élancés en porte à faux, tranche avec le style traditionnel classique du château juste en arrière à 200 mètres. Ses lignes géométriques audacieuses, ses transparences et sa légèreté, ses grands volumes intérieurs sont l’œuvre de l’architecte japonais Kurokawa Kishô, qui a également conçu la nouvelle aile du musée Van Gogh à Amsterdam.
A travers ses salles d’exposition, il délivre une très bonne synthèse de l’art japonais contemporain avec la présence de nombreuses œuvres d’artistes locaux, parmi lesquels les réputés Kawaguchi Kigai, Nonagase Banka, Hamaguchi Yozo, Tanaka Kyokichi, Onchi Koshiro. Des toiles de grands artistes internationaux y sont également présentes. On peut ainsi y voir des Picasso, Redon, Rothko, Frank Stella ou George Segal. En aparté, le musée expose sur tout un étage, des peintures traditionnelles, des dessins, des sculptures de l’époque Meiji (1868-1912).
Manuel Sanchez
Pour s’y rendre :
Le voyage que nous proposons ici s’effectue en train au départ de Shin-Ôsaka, gare du shinkansen en provenance de Tôkyô ou de Fukuoka. Il faut compter environ 3h45 pour rejoindre Kii-Katsuura via la ligne Kisei. Il s’agit d’une des plus belles lignes de l’archipel. Elle longe à de nombreuses reprises la côte et offre de très belles vues sur la mer.