Touchée comme d’autres secteurs, l’ostréiculture à Ishinomaki renaît de ses cendres grâce au soutien des Charentais.
La ville de Royan se trouve dans le département de Charente-Maritime et compte 17 100 habitants. C’est une ville touristique internationale, située à 100 km au nord de Bordeaux réputée pour ses vins. Pendant la période des vacances, on y enregistre plus de 100 000 visiteurs avec leur bateau de croisière. Les huîtres du bassin Marennes-Oléron sont réputées et exportées partout en Europe. L’ostréiculture remonte à l’époque romaine. Dans la région de Royan elle s’est développée dans le courant du XIXe siècle, lorsqu’on a transformé les marais salants en claire pour l’affinage des huîtres. A l’origine, on y élevait surtout des huîtres plates.
En 1922 une maladie s’est répandue et a tué la plupart des huîtres. A l’époque, on a fait venir les huîtres portugaises pour rétablir l’élevage. Or, en 1967 une autre épidémie s’est déclarée et à éliminer presque la totalité des huîtres. Alors les éleveurs français se sont intéressés aux huîtres creuses japonaises de la région de Sanriku (côte du Tôhoku), de bonne qualité et résistantes aux épidémies. Du quartier de Mangoku-ura, à Ishinomaki, on a amené beaucoup d’huîtres pondeuses. On a implanté ces huîtres “japonaises” en mer de Royan. Depuis, la plupart des “Marennes-Oléron” sont d’origine japonaise.
Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis cet épisode et les ostréiculteurs français continuent, de génération en génération, à éprouver une grande reconnaissance envers leurs confrères japonais, ce qui explique leur aide rapide et efficace au lendemain du tremblement de terre du 11 mars 2011.
A 65 ans, Gérard Viaud est un des principaux ostréiculteurs du bassin Marennes-Oléron. En tant que président du Comité national de conchyliculture, il s’est déjà rendu à Ishinomaki, à Kesennuma, dans la préfecture de Hiroshima et en Chine. Il a reconnu la qualité des huîtres de Sanriku dont fait partie Ishinomaki.
“Si les huîtres de Hiroshima sont bonnes, il est préférable de les manger cuites, plutôt que crues. L’environnement dans la préfecture de Miyagi permet de produire des huîtres d’une qualité supérieure qui peuvent être consommées crues”, explique-t-il avant d’ajouter que “pour qu’une production locale soit reconnue, il faut se battre. C’est ce que nous faisons en France.”
En Charente-Maritime, le nombre d’ostréiculteurs est passé de 5 000 à 1 000 en 50 ans. Comme à Ishinomaki, se pose le problème de la transmission des entreprises. Pour augmenter leurs revenus, ils procèdent à un élevage de plus grande envergure. Quelle que soit la taille de leur élevage, les ostréiculteurs prennent des initiatives, comme en allant vendre leurs huîtres partout en France. Royan n’est pas la seule ville productrice d’huîtres. Aussi répètent-ils que “pour notre survie, nous devons protéger la production locale”.
Quand nous avons demandé à M. Viaud des conseils pour ses collègues japonais d’Ishinomaki, il les a encouragés en ces termes : “Pour tout ostréiculteur, l’important est de préserver la qualité. Nous pensons pour nous que l’océan Atlantique constitue le meilleur environnement pour nous comme l’océan Pacifique est parfait pour les gens de Miyagi. Nous croyons que leur amour et leur fierté du travail et de la mer permettent de produire de bonnes huîtres. Je reconnais que la qualité des huîtres de Miyagi se situe au meilleur niveau mondial. Ils devraient en être fiers.”.
Si la France représente les pays producteurs d’huîtres en Europe, en Asie, c’est le Japon. Les huîtres creuses d’Ishinomaki qui se dégustent crues sont très appréciées des gourmets. Ishimori Yûji est président du Comité des ostréiculteurs d’Ishinomaki. Il s’est efforcé après le séisme de reconstruire l’élevage local grâce à des aides multiples dont les cordes d’élevage envoyées par la France. “C’est ainsi qu’on a pu récolter les huîtres dans les deux années qui ont suivi la catastrophe. Sans cette aide, beaucoup d’ostréiculteurs auraient dû abandonner l’élevage. On ne saura jamais trop les remercier. Si quelque chose arrivait en France, je me précipiterais pour aller aider les ostréiculteurs. C’est mon vœu le plus cher”, assure-t-il. Le lien est fort.
Quant au problème de la transmission, plus grave qu’à Royan, M. Ishimori se montre un peu plus optimiste. “Depuis le séisme, je m’aperçois que les jeunes d’ici sont très actifs. Je suis fier de leur énergie. Cela me fait plaisir de penser à l’avenir de notre région et de travailler avec eux”, explique-t-il. Il sait néanmoins que la situation actuelle dans la région et celle de l’industrie de la pêche en général ne sont guère réjouissantes. Il reste pourtant combatif. “Notre génération n’a pas dit son dernier mot. Nous devons aider la jeune génération avec nos expériences et nos relations, pour développer la production locale”, dit-il.
Face aux encouragements de M. Viaud, M. Ishimori répond avec une pointe d’humour. “Je suis ravi qu’il y ait des ostréiculteurs qui partagent nos préoccupations. S’il n’était pas fier de la mer, le pêcheur ne pourrait pas avancer dans la vie. En tant que représentant des pêcheurs japonais, nous ne pouvons pas baisser les bras. C’est notre façon de les remercier nos amis français.”
Le séisme a causé des dégâts considérables aux ostréiculteurs qui ont perdu tout leur matériel. Beaucoup ont dû abandonner le métier. Leur nombre et la production ont baissé de moitié par rapport à la période avant le tremblement de terre. Malgré tout, certains tentent d’augmenter leur production grâce à de nouvelles techniques importées de l’étranger. C’est le cas de la société Wagaki implantée à Higashi-Matsushima. Son directeur, Abe Toshimi en est fier. “Tout en respectant l’héritage des techniques traditionnelles adaptées à notre région, nous utilisons également des techniques venant d’autres pays. Notre objectif est de hisser notre société au premier rang mondial”, affirme-t-il.
Selon le Comité préfectoral de la pêche, la production d’huîtres dans la région est tombée de 3 119 tonnes en 2010 à 318 en 2011. Elle a ensuite repris progressivement pour atteindre 597 tonnes en 2012, 1 154 en 2013, et 1 564 en 2014. On ne compte plus que 430 ostréiculteurs, soit moitié moins qu’en 2010. Pour assurer une production égale à celle d’avant le séisme, il faudrait augmenter la productivité de 50 %. Selon un spécialiste membre du Comité, “il est impossible de retrouver le niveau de production d’avant. Il faut donc miser sur une augmentation de la valeur ajoutée.”
Jusqu’en 2002, Abe Toshimi travaillait dans un drugstore de Shiogama. Mais à 25 ans, il a hérité de l’exploitation ostréicole familiale. “La première année a été excellente. J’étais surpris de gagner autant. Mais au fil du temps, c’est devenu de plus en plus difficile”, raconte-t-il. En 2010, son père lui a transmis l’exploitation. Si le chiffre d’affaires annuel représente quelques dizaines de millions de yens, “le revenu annuel de toute la famille, atteint à peine les trois millions de yens pour des journées de travail commençant tôt le matin et se terminant tard le soir.” Au moment du séisme, son avenir était déjà incertain. Le tsunami a emporté son père et tous ses employés ; il a perdu quatre bateaux sur cinq, toutes ses installations ainsi que sa maison.
Il a alors voulu liquider tout ce qui concernait l’ostréiculture. Mais au lendemain de la catastrophe, les offres d’emploi étaient rares. En déblayant la plage avec ses collègues pêcheurs du quartier, il s’est demandé si c’était une bonne chose que de tout arrêter ainsi. Et progressivement, le désir et la volonté de reprendre l’ostréiculture lui sont revenus. Cette décision prise, il lui fallait un budget de près de 50 millions de yens pour l’achat des bateaux et des autres équipements. Il ne suffisait pas de tout refaire : cela n’aurait fait que reproduire les difficultés antérieures. C’est à ce moment, en apprenant le départ en France d’un de ses amis pour visiter des exploitations ostréicoles qu’il s’est dit que cela pouvait être l’occasion d’un changement. Il est donc parti avec lui.
Ils ont passé deux semaines en France et se sont rendus dans différents élevages sur la côte atlantique et en Méditerranée. Le plus impressionnant a été celui de Marennes-Oléron à Royan, un des plus grands au monde. Les ostréiculteurs de Marennes-Oléron ont un procédé original dans l’avant dernière étape de la production : l’affinage des huîtres dans un bassin d’eau de mer, appelé “claire” à l’emplacement d’anciens marais salants dans un équilibre délicat d’eau douce et d’eau salée au fond de laquelle pousse une mousse végétale qui donne sa couleur verte et son parfum spécifiques à l’huître de claire.
Ce qui a frappé Abe Toshimi, ce n’est pas seulement la qualité des huîtres, mais aussi une approche du métier très différente. La surface de l’élevage est considérable et on procède notamment à beaucoup de vente directe. “En France, ce n’est pas par bateaux mais avec des tracteurs qu’on récolte les huîtres comme si l’on était dans une vaste exploitation agricole. L’ostréiculteur ressemble plus à un agriculteur qu’à un pêcheur”, confie-t-il. “Pour les jeunes le travail est plus facile et les tâches sont mieux reparties. Au Japon, nous respectons trop les techniques traditionnelles”. Cette expérience lui a ouvert les yeux.
De retour au Japon, Il a créé la société Wagaki avec des amis. En complément aux coquilles St Jacques utilisées comme collecteur d’huîtres (naissains), la société Wagaki se sert maintenant de coupelles en plastique, une technique française. C’était en effet la meilleure solution pour élever les huîtres dites de single seed (implantation unique) ayant une forme parfaite pour être vendu avec les coquilles. Et ces huîtres sont appréciées par ceux qui achètent les jeunes huîtres.
Quant à l’avenir, “l’objectif est de faire tout nous-mêmes, de la production jusqu’au consommateur, en passant par la préparation. L’avenir de notre production en dépend, explique Abe Toshimi. Le séisme a été un événement tragique, mais nous ne baissons pas les bras. Nous allons tout faire pour que l’ostréiculture d’Ishinomaki atteigne le meilleur niveau mondial.”
Akiyama Yuhiro