Avec Les Délices de Tôkyô, la cinéaste nous livre une de ses plus belles œuvres servie par une remarquable distribution.
Kawase Naomi appartient à cette catégorie de cinéastes habitués des festivals où ils présentent presque chaque année leur dernière réalisation. La Japonaise entretient avec le festival de Cannes une relation particulière puisqu’elle y a présenté un grand nombre de ces films comme Suzaku (1997) ou La Forêt de Mogari (2007) récompensés par un jury impressionné par la maîtrise et la qualité de cette réalisatrice qui revendiquait, en 2014, la Palme d’or pour Still the Water. Repartie bredouille, elle est revenue cette année avec Les Délices de Tôkyô (An) sélectionné comme film d’ouverture de la section Un Certain regard. Une œuvre tout à fait remarquable qui tranche avec certaines de ses précédentes réalisations, brillantes d’un point de vue formel mais trop souvent barbantes en raison peut-être de sa tendance à vouloir tout misé sur l’aspect technique.
Est-ce dû au fait que Kawase Naomi ait choisi de réaliser un film dont elle n’a pas écrit le scénario ? Nous n’avons pas la réponse à cette question, mais il est clair que l’histoire et la manière de la raconter auraient mérité un bien meilleur sort lors de l’édition 2015 du festival de Cannes. En effet, le récit de Sukegawa Durian à partir duquel elle a construit son film possède tous les ingrédients indispensables à la constitution d’un chef-d’œuvre d’autant plus que la cinéaste a réussi à créer une harmonie parfaite entre l’histoire et les acteurs choisis pour l’interpréter. Explorant l’univers de la pâtisserie, le film livre une réflexion sur la transmission du savoir d’une génération à l’autre tout en soulignant l’importance de la communion entre le maître et l’élève. Kawase en profite également pour s’adresser à ses contemporains et leur rappeler la nécessité du partage dans une société de plus en plus repliée sur elle-même. Si Sentarô ne parvient pas à fabriquer de bons dorayaki, c’est qu’il n’est pas ouvert aux autres. Takue, interprétée avec brio par Kiki Kirin que l’on rencontre souvent dans les films de Kore-Eda Hirokazu, malgré son handicap et l’ostracisme dont elle a longtemps été victime à cause de sa maladie, a choisi d’aller vers l’autre et de transmettre son talent. La complicité qui naît de cette rencontre nous transporte de la même manière que l’on succombe à l’idée de la cinéaste de construire le film autour du cycle des saisons, choix pertinent quand on évoque la nourriture au Japon. Du printemps symbolisé par les cerisiers en fleurs, moment choisi par Takue pour éclore dans la vie de Sentarô, à l’automne où elle va disparaître, Kawase déroule le fil d’une histoire qui ne laisse pas indifférent. On apprécie la justesse des dialogues et du jeu des acteurs. Les Délices de Tôkyô se savourent comme les délicieux dorayaki que Sentarô finit par créer à partir du moment où il décide enfin d’aller vers les autres. La dernière scène du film en est la plus belle des illustrations. Des films comme celui-là, on en reprend !
Gabriel Bernard
Références:
Les Délices de Tokyo (An) de Kawase Naomi (1h53) avec Kiki Kirin, Nagase Masatoshiet Uchida Kyara.
En salles à compter du 27 janvier 2016.