Depuis les années 1960, la moto occupe une place non négligeable dans l’univers de la bande dessinée.
Comme tout fan le sait, les mangas sont célèbres pour couvrir tous les sujets possibles et imaginables, souvent de manière inattendue. La moto ne fait pas exception. L’histoire d’amour des mangaka avec les deux roues a commencé dans les années 1960, et l’une des œuvres les plus réussies de cette période s’intitule Wild 7 (1969-1979), une histoire extrêmement violente d’une équipe secrète antiterroriste à moto dont les membres sont tous d’anciens taulards. Probablement inspiré par le film de Robert Aldritch, Les 12 salopards (1967), ce manga reflète ce moment particulier de l’histoire japonaise, lorsque les étudiants affrontant régulièrement la police et les politiciens corrompus faisaient les premières pages des journaux. Comme d’autres mangas de la même période, comme Golgo 13, l’histoire comporte beaucoup d’actions, et les héros doivent souvent enfourcher leurs motos équipées de lance-missiles.
Wild 7 a terminé sa course en 1979 au moment où la moto a commencé à connaître son âge d’or dans les mangas au début des années 1980. Futaridaka (1981-1985) [Les deux faucons] qui a été récompensé, raconte la rivalité féroce entre deux coureurs. Même Hara Tetsuo, connu pour Hokuto no Ken (Ken le Survivant), a réalisé une courte série sur les courses de motocross intitulée Tetsu no Don Quijote [Don Quichotte de fer] juste avant de se lancer dans son projet le plus célèbre. Cependant plus que les courses sur circuit, ce qui attirait surtout les jeunes à cette époque, c’était les courses illégales qui se déroulaient dans les rues comme l’a très bien dépeint Kaido Racer Go [Street Racer Go]. Il raconte les courses de vitesse dans les rues, ou sur les autoroutes métropolitaines embouteillées de la capitale sans oublier les défis lancés sur les routes étroites et sinueuses de montagne. Ce dernier sujet a été très bien couvert et avec succès par Shigeno Shûichi dans Initial D (1995 -2013) bien que son manga portait sur les voitures, Shigeno avait abordé les courses de moto illégales dans Baribari Legend (1983-1991). Cette histoire a effectivement de nombreux points communs avec son plus célèbre manga de voiture des années 1990. Apparemment, il a été blâmé pour avoir incité de nombreux jeunes coureurs à devenir rollingzoku, c’est-à-dire des casse-cou intrépides qui rivalisaient pour déterminer la vitesse la plus élevée à laquelle ils pouvaient aborder les courbes. Malgré la critique, le manga est devenu si populaire que l’éditeur de jeux vidéo Taito l’a adapté en 1989 pour le marché des consoles de salon.
Alors que la culture biker était à son paroxysme au Japon dans les années 1980, elle faisait cependant les manchettes pour de mauvaises raisons. Il y avait les courses de rue illégales avec des gangs comme le tristement célèbre Mid Night Club qui empruntait la route entre Tôkyô et Yokohama à 300 km/h. Mais le phénomène le plus troublant était celui des bôsôzoku. Ces gangs de motards composés de jeunes délinquants comptaient plus de 40 000 membres. Il était donc tout à fait logique que les mangaka s’en emparent et en fassent des anti-héros. Deux des mangas de ce genre les plus populaires sont Shônan Bakusôzoku (1982-1987) et Hot Road (1986-1987). En 2014, ce dernier a même été adapté au cinéma où il a connu une carrière honorable. Reste que les années 1980 ne se résument pas seulement à de la violence et des activités illégales comme le prouve Pelican Road (1983-1987), l’histoire d’un lycéen fou de sa Honda MBX50 qui monte un club de moto avec ses amis. Même si le héros doit affronter au milieu de la série un gang de motards et de voyous, ce récit porte principalement sur l’adolescence.
La culture biker est devenue tellement omniprésente à cette époque qu’on la retrouve même dans des histoires qui ne sont pas centrées sur la moto. Sans doute la plus célèbre de toutes est Akira (1982-1990) dont la version animée (1988) a grandement contribué à la popularisation de l’animation japonaise en Occident. Évidemment, Akira est tout sauf une histoire de motards. Cependant, l’un de ses thèmes centraux est l’aliénation de la jeunesse et sa mobilisation contre l’autorité. Les deux principaux personnages, Tetsuo et Kaneda, sont membres d’un gang bôsôzoku. Tout commence par une bataille entre des gangs rivaux dans les rues de Neo-Tokyo.
Plus récemment, un autre motard qui a gagné le cœur de nombreux fans de mangas et d’animés s’appelle Celty Sturluson, vedette dans Durarara !! (2009). Adapté d’un roman, l’histoire se déroule dans le quartier d’Ikebukuro dans le nord-est de Tôkyô. Il s’agit d’un mélange assez complexe entre guerre des gangs, romance et surnaturel, mais le personnage qui se distingue s’appelle Black Biker, un cavalier sans tête qui est en fait un Dullahan (une fée de la mythologie irlandaise) doté d’une force surhumaine et venu au Japon pour récupérer sa tête volée et dont la moto est en fait son cheval noir déguisé. Celty Sturluson est juste une nouvelle race de motards féminins apparue récemment dans le monde du manga. Fait intéressant, alors que le nombre de possesseurs de motos est en baisse constante depuis une vingtaine d’années, l’intérêt accru pour des personnages bien trempés a convaincu plus d’un mangaka que les jeunes filles mignonnes pouvaient faire vendre plus d’exemplaires que des machos.
Le summum de cette nouvelle version du genre biker dans les mangas semble être Bakuon !! [Explosif], l’histoire d’un groupe de lycéennes fatiguées de prendre leur vélo pour aller à l’école s’intéressent à la moto et décident de rejoindre le club de moto de l’école. Les mangaka aiment mélanger des genres apparemment incompatibles et imaginer des histoires étranges sans beaucoup d’égard pour la narration traditionnelle. Ils peuvent être ainsi pardonnés de faire chevaucher les puissantes motos par de fluettes lycéennes. Après tout, déjà à la fin des années 1970, le protagoniste de 750 Rider (1975-1985) circulait sur une Honda CB750 Four alors qu’il avait seulement 16 ans (au Japon, il faut avoir 18 ans pour rouler sur ce genre d’engin). Puisqu’on parle de motard poids léger, il faut aussi citer le manga Doko made ikeru kana ? [Je me demande jusqu’où je peux aller] (2012) qui met en scène une femme d’une trentaine d’années, mère de deux enfants. Elle ne mesure que 1,50 m et n’a aucune force, mais elle a relevé le défi de passer le permis pour chevaucher un 400cc de 200 kg. De quoi vous rendre accro aux mangas les plus dingues.
J. D.