Symbole de liberté, le jazz reste une musique pleine de vie au pays du Soleil-levant où l’on sait aussi l’apprécier.
L’une des images qui colle le plus au Japon, c’est que le pays du Soleil-levant est une nation d’imitateurs. On l’a dit pour les voitures, les appareils photos et certains n’hésitent pas à affirmer que dans le domaine culturel, en particulier celui de la musique, les Japonais sont de remarquables techniciens, capables de jouer aussi bien que les meilleurs artistes occidentaux, mais il leur manque ce petit quelque chose qui fait la différence. Ce serait particulièrement visible au niveau du jazz. Si l’on écoute ces mauvaises langues, cela revient à dire que les musiciens nippons ne disposent pas de la sensibilité indispensable pour créer une musique capable de transporter une audience. Sans doute n’ont-elles pas eu la chance d’entendre un Watanabe Sadao qui, malgré ses plus de 80 printemps, peut encore retourner une salle avec son saxophone grâce à un jeu que les meilleurs spécialistes américains ont depuis longtemps reconnu. Elles n’ont probablement pas non plus eu la chance d’écouter Hiromi (voir p. 9) ou la grande Akiyoshi Toshiko dont la grâce et parfois la puissance au piano entraînent l’auditeur vers des sommets. Elles sont passées à côté de la pianiste Onishi Junko ou encore de la très jeune saxophoniste alto Terakubo Erena (voir p. 9) qui illuminent de leur talent le jazz. On pourrait citer beaucoup d’autres musiciens japonais grâce auxquels cette musique a pu changer de dimension.
Si cela a été possible, c’est qu’il existe une jazz attitude au Japon comme il n’en existe quasiment plus ailleurs. Les caves de Saint-Germain ont disparu. Il ne subsiste que des souvenirs lointains que seuls les plus anciens sont en mesure de rappeler, alors que dans l’archipel, le jazz est une réalité que l’on côtoie au quotidien. Certes, comme dans d’autres pays, il est aujourd’hui en repli. Il n’empêche qu’elle reste bien vivace en raison de la résistance de tous ces petits bars où l’on ne peut pas imaginer de servir un whisky ou une bière sans les accompagner de bonne musique. Le jazz est aussi associé à une liberté de comportement que les Japonais (les citadins en tout cas) ont réussi à imposer à la fin des années 1920 avant que les militaires y mettent un terme en interdisant ce qui représentait à leurs yeux une expression de dissidence. A la fin de la guerre, il a retrouvé droit de cité et toute une génération de Japonais y a trouvé l’inspiration.
Murakami Haruki est de ceux-là. C’est en 1964, à l’âge de 15 ans, qu’il a fait la rencontre avec le jazz. Ce fut une révélation. “Je me suis demandé comment je pourrais transférer cette musique sous forme d’écriture. C’est comme ça que j’ai créé mon style”, a-t-il écrit dans le New York Times en 2007. Et pour les amateurs de sa littérature, il ne fait aucun doute que le romancier compose ses romans comme s’il jouait un morceau de jazz. Ce sentiment de liberté qu’il exprime dans ses livres, c’est le même que l’on ressent en écoutant les artistes de jazz japonais. Ils sont le fruit de cette jazz attitude que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Elle leur donne cette capacité à produire une musique qui ne ressemble en rien à une copie malgré ce que peuvent encore affirmer quelques mauvaises langues qui sont aussi dures d’oreille.
Gabriel Bernard