Cette découverte du Japon a-t-elle constitué un choc pour vous ?
V. D. : Etrangement pas. Je m’attendais pourtant à en subir un. On m’avait dit tellement de choses sur ce pays, qu’il était aliénant et si différent, que je pensais ressentir une sorte de confusion à son contact. Au contraire, j’y ai trouvé beaucoup de familiarités. On y est tellement bien accueilli. Il y a une telle bienveillance des gens que tout est facile. Je me sens beaucoup plus dépaysée en Russie, alors que j’ai des origines slaves. On pourrait penser que je m’y sens chez moi, mais pas du tout. C’est un pays beaucoup plus dur où l’on a du mal à trouver sa place. Ce n’est pas le cas du Japon où il y a une véritable facilité pour se fondre dans le paysage. C’est un pays très stimulant.
Pourtant au début du film, lorsque le personnage principal interprétée par Isabelle Carré arrive au Japon, vous avez, semble-t-il, voulu marquer un choc.
V. D. : En effet, il s’agissait de mettre en évidence son état psychologique. Il s’agit d’une femme habituée à vivre dans un monde en mouvement perpétuel où le silence n’existe pas et où elle est en fait conditionnée à être prise dans une vie qui ne s’arrête jamais. Le film va raconter petit à petit le passage vers le silence, vers une forme de lenteur. Mais la transition est progressive. Ce dont vous parlez marque davantage son état émotionnel. C’est là que se trouve le choc, mais à partir du moment où elle obtient les éclaircissements de la petite amie de Nathan, elle cherche à aller plus loin, à sortir de cette situation confuse, jusqu’à se laisser prendre par l’atmosphère apaisante de l’île où elle a fini par débarquer. Mais son premier contact avec les gens sur place n’est pas pour autant facile, car elle doit avant tout faire la paix avec elle-même pour se laisser submerger par la sérénité. Il fallait donc créer un contraste entre les deux et les scènes que vous évoquez y participent grandement.
Il y avait le risque de tomber dans une sorte de remake de Lost in translation…
V. D. : C’est juste. Cela avait été déjà fait et je ne voulais pas me laisser piéger par une sorte de facilité en la matière. Dès lors, bien que le film se passe essentiellement au Japon, on ne peut pas dire qu’il y a beaucoup de “japonaiseries”, c’est-à-dire de situations qui mettent en évidence des comportements susceptibles de nous amener à porter un jugement ou à nous faire sourire parce qu’on les juge inappropriés. Il y a d’ailleurs peu d’échanges en japonais, ce qui dans d’autres films donne lieu à des quiproquos. Je ne voulais pas de tout ça, car ce n’est pas l’essence du film. Je trouvais beaucoup plus intéressant d’être dans l’interaction entre les personnages et dans la découverte de l’espace que de chercher à exploiter des situations que n’importe quel voyageur peut rencontrer à un moment donné. C’est un choix conscient de ma part. Je me suis refusée de filmer les cerisiers en fleurs ou encore le mont Fuji. Une fois encore, ce n’est pas le propos du film qui est une quête de la protagoniste non pas du Japon, mais de réponses sur son frère et finalement sur elle-même.
Vous évoquiez votre intérêt pour le cinéma japonais. Est-ce que certains cinéastes nippons ont pu vous influencer dans votre manière d’appréhender certaines scènes ? Je pense notamment aux nombreuses scènes d’intérieur.
V. D. : Il y a évidemment Kore-Eda Hirokazu qui filme son pays d’une manière très juste et très naturelle. Il ne cherche ni à l’embellir ni à en donner une mauvaise image. Son approche est une source d’inspiration, c’est évident. De même qu’Ozu Yasujirô pour les intérieurs s’est imposé comme référence.
On a l’impression que vous avez adopté la même façon de filmer que lui en plaçant la caméra au ras du sol…
V. D. : C’est exact. C’était à mes yeux la façon la plus organique de filmer les personnages qui étaient assis à même le sol. Le risque de mettre la caméra un peu plus haut aurait été de prendre dans le cadre des éléments moins intéressants que ceux en relation directe avec les personnages installés quelques centimètres plus bas. En même temps, mon chef opérateur ne connaissait pas le Japon. Il l’a découvert pour ce film et j’ai justement apprécié son regard neuf. Il a été par exemple très impressionné par les fils électriques alors que je n’imaginais pas pouvoir en faire quelque chose. C’était donc aussi très important d’avoir une vision totalement nouvelle sur les lieux, ce qui a permis d’enrichir le film avec d’autres perceptions esthétiques. Le résultat est à la fois beau et brut. Les falaises occupent à ce titre une place très importante. Les falaises rouges sont très impressionnantes. On a l’impression d’être en face de muscles et de nerfs. Il y a quelque chose d’organique qui cadre parfaitement à l’esprit du film et du personnage incarné par Isabelle Carré.
Et au milieu de cette nature brute, elle tente de trouver petit à petit une sorte d’harmonie avec elle-même…
V. D. : Oui. A mesure qu’elle effectue cette démarche intérieure, elle s’ouvre aux autres et les autres vont vers elle. C’est d’ailleurs une façon assez japonaise du contact avec les autres. Ça m’a toujours frappé de voir que les Japonais ont une certaine retenue vis-à-vis des autres tant qu’on ne manifeste pas l’envie d’entrer en contact. Mais à partir du moment où vous ouvrez la porte, c’est très facile de nouer le contact et d’avoir des échanges. Pendant le tournage, ça a été un véritable plaisir de travailler avec une équipe japonaise. Malgré la barrière de la langue, nous avons réussi à établir des relations fructueuses. Je pense notamment à la chef décoratrice dont l’anglais était plus qu’hésitant, mais avec qui j’étais sur la même longueur d’onde. C’était incroyable. Finalement, on n’a pas toujours besoin de paroles pour établir des liens. Le film porte là-dessus également. Il y a peu de dialogues, ce qui n’empêche pas le personnage d’Alice de se lier d’amitié avec Midori ou de nouer cette relation amoureuse.
Pour revenir au travail avec les Japonais, comment s’est déroulé le casting du côté japonais ?
V. D. : A ce niveau-là, j’ai l’impression d’avoir vraiment réussi à créer un travail de collaboration avec l’équipe japonaise. J’ai participé à plusieurs séances de casting et j’ai travaillé avec une directrice de casting dont la contribution a été énorme au même titre que celle du directeur de la production locale. Le choix de Kunimura Jun est sur ce point très intéressant car il est le résultat de l’excellent travail de notre directrice de casting japonaise. Il faut savoir que les acteurs japonais sont des gens très occupés et que certains d’entre eux ne sont pas du tout intéressés à travailler sur un projet européen. Aussi a-t-elle dû déterminer quels acteurs seraient susceptibles de participer à une production de ce type et les convaincre de me rencontrer pour une audition. Et ce n’était pas gagné d’avance, car un acteur de la stature de Kunimura Jun n’accepte en général pas les auditions. Elle a donc été obligée de faire un double travail en allant chercher un acteur répondant à mes critères et en le convaincant de me rencontrer puisque je n’avais aucune connaissance particulière de l’univers des acteurs japonais. Elle a bien réussi son coup, car j’ai pu rencontrer plusieurs acteurs différents et réussi à monter plusieurs séances de casting. Ça a constitué une formidable expérience pour moi.
Et comment cela s’est-il passé avec Isabelle Carré dont on dit qu’elle n’était pas une grande voyageuse ?
V. D. : Ça a été un très grand enjeu pour le film puisque comme vous le disiez ce n’est pas une personne qui aime voyager. Elle était également très angoissée par les questions de radioactivité et les risques naturels. Nous étions quelques mois après le tremblement de terre et l’accident de Fukushima. De plus, quand je lui ai proposé le rôle, elle était encore en train d’allaiter son plus jeune enfant. Finalement, plusieurs facteurs l’ont amenée à se lancer. Le temps d’abord qui a passé, puis aussi le fait que son père est un grand passionné du Japon. D’une certaine façon, elle devait faire sa rencontre avec ce pays. Après avoir fait des recherches sur l’évolution de la radioactivité, elle a fini par partir. Et je crois que cette expérience qui a consisté à dépasser ses craintes l’a placée dans un état d’esprit finalement assez proche du personnage qu’elle devait interpréter. Et sur place, elle s’est beaucoup attachée au lieu et à ses partenaires. Elle a adoré le Japon. En définitive, ce tournage dans l’archipel a été une transformation considérable pour elle. Elle en parle aujourd’hui comme s’il y avait eu un avant et un après Le Cœur régulier. C’est tellement vrai qu’elle repart pour un nouveau tournage à l’étranger.
Dans quelques jours, le film sortira en France. Que souhaitez-vous maintenant ?
V. D. : Je ne rêve que d’une seule chose, celle de pouvoir aller le présenter à la population des îles Oki. Même si je dois y aller seule, le film sous le bras.
Propos recueillis par Gabriel Bernard
Infos pratiques
Le Cœur régulier de Vanja D’Alcantara avec Isabelle Carré, Kunimura Jun, Niels Schneider, Andô Masanobu. 1h35. Sortie le 30 mars.
Avant-premières : Le Cœur régulier
Partenaire de la sortie du Cœur régulier, Zoom Japon sera exceptionnellement distribué dans les salles de cinéma où le film sera projeté. Des membres de l’équipe de Zoom Japon participeront à certaines des avant-premières pour des discussions avec le public autour du film.
L’occasion de faire connaissance avec la rédaction et d’évoquer différents thèmes en relation avec le film. Ne manquez pas ces rendez-vous et pensez d’ores et déjà à réserver vos places dans les salles mentionnées ci-dessus. D’autres séances, notamment en Ile de France, seront programmées. Pour les connaître, rendez-vous sur notre page Facebook.
Dimanche 6 mars
Jard-sur-mer (85)
Cinéma Les Ormeaux
Jeudi 10 mars
Nantes (44)
Cinéma Katorza
Tél. 02 51 84 90 60
En présence de l’équipe du film
Vendredi 11 mars
Cancale (35)
Cinéma Duguesclin
Tél. 02 99 89 75 70
Rouen (76)
Cinéma Omnia
Tél. 02 35 07 82 70
En présence de l’équipe du film
Lundi 14 mars
Frejus (83)
Cinéma Vox
Tél. 04 94 51 15 11
Chambéry (73)
Cinéma Astrée
Tél. 04 79 33 40 53
En présence de l’équipe du film
Mardi 15 mars
Grenoble (38)
Cinéma Le Club
Tél. 04 76 87 46 21 En présence de l’équipe du film
Mercredi 16 mars
Quimperlé (29)
Cinéma La Bobine
Tél. 02 98 96 04 57
Caussade (82)
Cinéma Ciné-Théatre
Fronton (31)
Cinéma Ciné’Fronton
Tél. 05 62 79 19 20
Toulouse (31)
Cinéma ABC
Tél. 05 61 21 20 46
En présence de l’équipe du film
Jeudi 17 mars
Perros-Guirec (22)
Cinéma Les Baladins
Tél. 02 96 91 05 29
Lyon (69)
Cinéma UGC Astoria
Tél. 01 46 37 28 24
En présence de l’équipe du film
Vendredi 18 mars
Avignon (84)
Cinéma Utopia
Tél. 04 90 82 65 36
En présence de l’équipe du film
Sète (34)
Cinéma Comoedia
Tél. 04 67 74 35 12
En présence de l’équipe du film
Montpellier (34)
Cinéma Diagonal
Tél. 04 67 58 58 10
En présence de l’équipe du film
Samedi 19 mars
Montmorillon (86)
Cinéma Le Majestic
Tél. 05 49 84 01 43
Dinard (35)
Cinéma Les 2 Alizés
Tél. 02 99 88 17 93
Alès (30)
Cinéplanet
Tél. 04 66 52 63 03
En présence de l’équipe du film
Dimanche 20 mars
Fécamp (76)
Le Grand Large
Tél. 02 35 27 01 03
Pierrelatte (26)
Cinéma Le Cinéma
Tél. 04 75 04 05 16
Auzielle (31)
Cinéma Studio 7
Tél. 05 61 39 02 37
Mardi 22 mars
St Julien en Genevois (74)
Cinéma Rouge & Noir
Tél. 04 50 75 76 75
St-Rémy de Provence
Cinéma Ciné-Palace
Tél. 04 90 92 37 41
Tours (37)
Cinéma Studio
Tél. 02 47 20 27 00
En présence de l’équipe du film
Mercredi 23 mars
Blois (41)
Cinéma Lobis
Tél. 02 54 74 33 22
En présence de l’équipe du film
Jeudi 24 mars
Marseille (13)
Pathé Madeleine
Tél. 0 892 69 66 96
En présence de l’équipe du film
Vendredi 25 mars
Douai (59)
Cinéma Majestic
Tél. 03 27 86 95 00
Lille (59)
Cinéma Majestic
Tél. 03 28 52 40 40
En présence de l’équipe du film
Lundi 28 mars
Rennes (35)
Cinéma Ciné TNB
Tél. 02 99 31 55 33
En présence de l’équipe du film