Dans un brillant essai consacré à une période cinématographique très chargée, Mathieu Capel met les points sur les i.
Fin connaisseur du cinéma japonais et désireux d’offrir aux lecteurs francophones un ouvrage qui dépoussière la manière de présenter le 7è art nippon, Mathieu Capel a réussi son pari avec son Evasion du Japon : cinéma japonais des années 1960 (éd. Les Prairies ordinaires). Non seulement il revisite avec force et clarté cette importante période sur la plan cinématographique, mais il donne de nombreuses clés pour saisir les transformations sociales dans l’archipel et le contexte. Grâce à ce remarquable travail, on découvre que ce qu’on a baptisé la nouvelle vague japonaise, en référence à celle qui prévalait en France, ne résumait pas au simple désir d’en finir avec le cinéma de papa, c’est-à-dire de remettre en cause le système des studios. “Aussi faut-il retenir tout jugement qui décrirait trop rapidement les “enfants terribles” de la nouvelle génération comme iconoclastes ou parricides. Et à contre-pied des anathèmes, interroger les raisons qui les conduisent à se désolidariser de figures [les cinéastes d’avant] si importantes”, écrit Mathieu Capel. Les cinéastes qui tentaient alors d’exister cherchaient avant tout à proposer un autre regard sur la société en lui substituant un nouveau modèle. Cette lecture du cinéma japonais des années 1960 nous permet de revoir de nombreux films avec une approche différente et bien plus intéressante que le simple parti pris esthétique imposé par la plupart des critiques. Dès lors, on comprend mieux le titre de son ouvrage Evasion du Japon, lui-même inspiré par le film éponyme de Yoshida Kijû, grande figure du cinéma de l’époque. Nous avons rencontré Mathieu Capel. Il est revenu sur son parcours qui l’a conduit à écrire ce livre qui marque un tournant dans les études cinématographiques consacrées au Japon.
Qu’est-ce qui vous a conduit vers le cinéma japonais ?
Mathieu Capel : C’est la découverte des films de Yoshida Kijû lors d’une rétrospective organisée à La Rochelle en 1997, je crois. Je travaillais alors sur Pasolini. Le cinéma japonais ne m’était pas étranger. J’avais vu en salles des films de Kurosawa Akira, Kobayashi Masaki ou encore Kitano Takeshi. Il y avait un terrain sensible sans doute, mais ce sont les œuvres de Yoshida qui ont servi de déclencheur. J’étais aussi à un moment charnière dans mon parcours professionnel et cette rencontre est finalement tombée à un moment propice. Il y a comme une espèce de syndrome de Stendhal avec sans doute une date que l’on peut retrouver au jour près.
Vous parliez déjà japonais ?
M. C. : Pas du tout. J’ai mis assez longtemps à m’y mettre. Comme j’étais dans un champ disciplinaire assez particulier, celui des études cinématographiques, on se dit souvent que l’on peut travailler sur des films sans en connaître forcément la langue puisqu’il existe de nombreuses œuvres disponibles en version sous-titrée. C’était le cas pour de nombreux cinéastes japonais comme Ozu Yasujirô ou Kurosawa Akira. Mais pas pour Yoshida. J’ai tout de même travaillé dessus pendant trois ou quatre ans sans parler un traître mot de japonais jusqu’au moment où je me suis dit que je n’arriverai à rien sans connaître cette langue. Ça a été assez tardif, mais je l’ai fait. C’est en travaillant sur ma thèse que je me suis lancé dans l’étude de la langue.