A compter de 2016, le 11 août devient le Jour de la montagne. Consécration de l’attirance nippone pour les sommets.
Il n’est pas encore 8 h dans le parc national Chûbu-Sangaku, porte d’entrée des Alpes japonaises du Nord. Le ciel, entièrement dégagé, est d’un bleu immaculé et la température est douce. Nous sommes à Kamikôchi, à une heure de Matsumoto et à 1 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ici, la vallée des monts Hokata offre un panorama magnifique. L’eau de la rivière Azusa qui coule en contrebas est transparente et cristalline alors que le volcan actif, Yake-dake, crache de fines volutes de fumée. Les randonneurs, sacs à dos et chaussures lacées, s’élancent équipés du petit réchaud qui leur permettra de faire bouillir de l’eau pour leurs râmen au poulet, lors de la pause. Un chapeau et un bâton équipé d’une clochette pour faire fuir les ours bruns, ils achèvent de compléter la tenue du parfait randonneur. Les alpinistes, quant à eux, sont déjà partis depuis plusieurs heures pour atteindre les sommets avant le milieu de journée.
Katô Ginjirô, randonneur émérite et secrétaire du Comité national de la Journée de la Montagne, affiche une mine réjouie. “Je suis né et je travaille ici. Pour nous, la montagne est une bénédiction. Lorsque l’on est enfant, on nous apprend à prier pour elle, pour la remercier de ses bienfaits. Avec l’école, nous faisions beaucoup d’excursions pour étudier sa faune et sa flore. Nous sommes donc sensibilisés au respect de l’environnement, à la préservation des espèces ainsi qu’aux dangers de la montagne. J’aimerais que tous les Japonais s’approprient encore davantage leurs montagnes”, explique-t-il. Qu’il fasse beau, qu’il vente ou même qu’il neige, il est toujours prêt pour partir à l’ascension d’un des pics de la préfecture de Nagano. Lorsqu’il fait beau comme aujourd’hui, et que les sommets sont clairement visibles depuis la base, il aime voir des animaux dans les yukigata (formes suggérées par des monceaux de neige). “Regardez là-bas ! Un caniche”, rit-il.
A Nagano, on accueille la création de la Journée nationale de la montagne (yama no hi. Ce nouveau jour férié est entré en vigueur en 2016. Il a été fixé au 11 août) avec énormément de fierté. Huit années auront été nécessaires pour que le projet aboutisse. Sur les 23 sommets supérieurs à 3000 m d’altitude dans le pays, 15 sont situés à Nagano, dont 9 à Matsumoto. C’est pour cette raison que la cérémonie d’inauguration du 16e jour férié nippon a été organisée à Kamikôchi. Cette célébration souligne l’engouement particulier des Japonais pour la randonnée en montagne. En 2014, ils étaient plus de 8,4 millions à pratiquer l’alpinisme ou la randonnée. Mais elle est aussi et surtout une manière de valoriser une région rurale et agricole qui, malgré une culture locale riche, souffre du déclin de sa population comme beaucoup d’autres régions. Aujourd’hui, la préfecture de Nagano, qui enregistre la plus haute espérance de vie de l’archipel avec 80,8 ans pour les hommes et 87,1 ans pour les femmes, ne compte plus que 2,1 millions d’habitants. “Nous souhaitons donner de l’essor à notre économie grâce au tourisme et nous sommes en capacité d’accueillir davantage de touristes, admet Kamijo Toshiaki, maire de Kamikôchi. Nous espérons que cette journée mettra en lumière nos richesses.”
Aujourd’hui, après avoir connu une période de vaches maigres, la fréquentation touristique de Kamikôchi repart à la hausse, au rythme de 10 % par an. Le nombre de voyageurs étrangers, principalement originaires de Taïwan ou des Etats-Unis, a notamment fait un bond. Ils étaient près de 9 000 dans la vallée en 2015 contre 3 800 en 2013. Le tourisme de montagne pourrait donc effectivement représenter une manne économique non-négligeable pour une petite collectivité locale comme Kamikochi “Les touristes peuvent venir se ressourcer dans ce cadre naturel somptueux”, affirme Kamijo Toshiaki. Ce coin reculé des alpes japonaises est devenu populaire à la fin du XIXe siècle, lorsque le révérend anglais, Walter Weston, a publié un ouvrage après avoir gravi ces montagnes. Intitulé Alpinisme et exploration des Alpes japonaises, le livre fut un véritable succès et incita les Japonais à se lancer dans l’ascension des sommets de leur pays. L’intention de l’auteur était de les inciter à ne plus considérer la montagne comme une simple et généreuse ressource naturelle, mais de l’envisager comme un sport et un loisir.
Depuis, le flux de touristes a néanmoins généré deux soucis majeurs. Tout d’abord, la mise en péril des espaces naturels liés aux mauvaises pratiques de certains randonneurs et à la pollution produite par les moyens de transport. “Les habitants se plaignaient des détritus abandonnés par les touristes qui jonchaient les sentiers, explique Kamijo Toshiaki. Nous avons donc pris des mesures et nous encourageons désormais les randonneurs à ramener leurs déchets chez eux. Nous leur demandons aussi de prendre soin des fleurs et de ne pas nourrir les animaux sauvages. Enfin, nous avons résorbé les embouteillages en créant une meilleure régulation. Cela permet de fluidifier le trafic et de rendre les alentours plus agréables.”
Second souci, et non des moindres, la prévention face aux dangers. Certains randonneurs font parfois preuve d’une grande imprudence. “Aujourd’hui, nous avons de plus en plus d’urgences à gérer, regrette l’élu local. Les randonneurs doivent bien se préparer et prendre toutes les informations nécessaires avant de se lancer sur les sentiers. Récemment, nous avons eu le cas d’un homme, un jeune Coréen, qui s’était lancé dans la montagne directement en sortant du travail, en costume, pensant qu’il pourrait acheter du matériel directement sur place, sur les chemins. Visiblement, c’est possible en Corée du Sud, mais ici, il n’y a pas de boutiques. Il faut acheter son matériel avant de venir. A mesure que l’altitude augmente, il fait plus froid. Il aurait pu avoir de sérieux problèmes… Les accidents les plus fréquents restent les chevilles foulées ou les brûlures. Mais parfois, c’est plus grave. En mai dernier, nous avons déploré le décès de cinq personnes pendant les congés de printemps.”
Chaque année, entre 100 et 200 accidents sont recensés dans la vallée de Kamikôchi. C’est un environnement sauvage. “La montagne n’en reste pas moins un lieu hostile lorsque l’on n’est pas suffisamment préparé”, rappelle Ishizuka Satomi, guide professionnel pour l’association Montagne Yamatami. La région abrite notamment de nombreux ours bruns. “J’en ai rencontré un, une fois. J’ai eu très peur. Il ne faut donc pas brûler ses poubelles car les ours peuvent être attirés par l’odeur et croire qu’ils vont trouver de la nourriture”, ajoute le guide. En 2015, les montagnes japonaises ont enregistré un record de personnes perdues en altitude : 3043 cas selon les données de la police nationale. Sur ce nombre, 335 décès ont été à déplorer, dont 62 dans la préfecture de Nagano.
En cas d’incident, le plus gros problème reste la localisation des victimes. Pour cette raison et depuis le 1er juillet 2016, il est désormais nécessaire de fournir un plan de son parcours aux autorités avant de partir à l’assaut des sommets. Toujours par souci de sécurité, des récepteurs de données électroniques vont être installés dans les refuges afin que les randonneurs puissent enregistrer leur passage et ainsi être localisables grâce à leur carte Suica, l’équivalent local de nos cartes d’abonnement dans les transports.
De son côté, Matoba Kazumine a développé une idée, plutôt ingénieuse.
Son application, baptisée Yamareco (www.yamareco.com), a été lancée en octobre 2005. Elle fédère aujourd’hui plus de 210 000 usagers à travers tout l’archipel. Créée à Matsumoto, elle couvre désormais l’ensemble du pays. “Elle permet à tous les randonneurs de préparer leur itinéraire en amont et d’évaluer ainsi les distances, l’altitude, de repérer d’éventuelles difficultés ou les refuges”, assure son concepteur. “Elle favorise aussi le partage du projet avec ses proches avant même de partir. Une fois sur le chemin, grâce aux données GPS, les randonneurs peuvent indiquer leurs positions régulièrement et rassurer les familles. Cela permet également de les localiser rapidement si un problème survient.” Filet de sécurité, elle est très appréciée également pour le retour d’expérience qu’elle encourage. “C’est un espace communautaire avant tout. Ses utilisateurs peuvent partager des informations sur les trajets, charger des photos, etc. De notre côté, nous mettons à jour toutes les actualités en temps réel, surtout sur les trajets très demandés comme ceux du mont Fuji, du mont Takao et des Alpes de Nagano. On peut être ainsi informé sur les chutes de neige, la montée du niveau de l’eau des rivières, l’effondrement d’un chemin, les fermetures de certains sentiers et bien d’autres choses.” Depuis 2013, cette application gratuite, financée par la publicité, enregistre 5 000 nouvelles inscriptions chaque mois. “Dans nos projets à venir, nous voulons que l’application soit accessible en plusieurs langues et présenter des pratiques de randonnée et d’alpinisme d’autres pays.”
Johann Fleuri