Stéphane Danton s’est lancé, il y a 11 ans, dans la vente de thé. Une véritable aventure.
Les lecteurs de longue date de Zoom Japon connaissent déjà Stéphane Danton, ce “marchand de thé japonais”, que nous avions rencontré pour l’un de nos premiers numéros. Cinq années se sont écoulées depuis cette première entrevue et la boutique de Stéphane Danton, Ocharaka, existe toujours, mais elle a récemment quitté la périphérie de Tôkyô pour le quartier de Nihonbashi, au cœur de la capitale. Lorsque nous arrivons dans le magasin situé au sous-sol du nouveau centre commercial Coredo, le patron toujours très occupé n’est pas encore arrivé, mais nous faisons connaissance avec le directeur adjoint d’Ocharaka, Benoît Kara, chargé d’expliquer les subtilités de la fabrication du thé et d’introduire les nombreuses variétés de thé en vente à une clientèle variée. Ocharaka a bâti sa réputation sur ses créations originales aromatisées. Nous avons donc demandé à M. Kara de nous donner un cours intensif sur le thé japonais.
“Notre stock de mélanges originaux se divise en trois groupes : le thé vert, le thé torréfié et le thé noir”, explique-t-il. “Ils sont tous originaires du Japon, y compris le thé noir qui est assez rare, car la plupart des agriculteurs locaux produisent surtout du thé vert. Chaque type de thé est combiné avec des saveurs différentes. Le thé vert, par exemple, va très bien avec des saveurs fruitées, de l’orange et du citron, en passant par la pêche, la poire ou la fraise. En ce moment, la mandarine a la cote. Bien sûr, la base de thé vert varie aussi. Nous utilisons beaucoup de thé originaire des montagnes de Shirakawa, dans la préfecture de Gifu, et une autre variété qui vient de Kyûshû, dans le sud du Japon.” La différence entre les deux semble très subtile, mais elle revêt une grande importance lorsqu’il s’agit de les mélanger avec une certaine saveur. Le melon, par exemple, se marie très bien avec le thé vert du sud en raison de sa douceur, tandis que le thé de Shirakawa complète parfaitement l’amertume de la mandarine. « Comme on dit au Japon, ce thé est ronyaku nannyo, c’est-à-dire qu’il convient aux hommes et aux femmes de tous âges”, assure Benoît Kara.
Lorsqu’on passe au hôjicha ou thé torréfié, nous rencontrons une gamme très différente de saveurs sucrées comme le caramel, la patate douce, la citrouille ou le choco-banane qui s’accommodent bien de l’arôme plus fort du hôjicha. Dans ce cas également, la base de thé varie selon la combinaison que vous voulez faire. La principale différence réside dans le temps que l’on laisse griller les feuilles de thé d’asa-iri (torréfaction courte) à fuka-iri, (torréfaction longue). Un point positif pour le hôjicha est sa faible teneur en caféine parce que ses feuilles ont été grillées. Ainsi les gens qui ne peuvent pas boire de café peuvent prendre à la place une tasse de hôjicha aromatisé au moka et ainsi profiter d’une boisson saine avec une bonne odeur de café.
Last but not least, il existe aussi un petit ensemble de thés noirs japonais. En général, ils sont plus doux que les thés comparables venus d’Inde ou du Sri Lanka. Parmi eux, Ocharaka propose le toujours très populaire Earl Grey, celui à la pêche blanche, et un thé épicé qui rappelle le pain d’épice. Ils en ont également un au litchi qui avec celui à la mangue et aux fruits de la passion est particulièrement apprécié par les clients originaires d’Asie du Sud-Est.
A la droite des thés aromatisés, nous trouvons le thé vert nature. Sur chaque boîte, on peut effectivement trouver toutes les informations indispensables allant de la zone de production au degré de shibumi (astringence) et d’umami (amertume et douceur). Le thé préféré de Benoît Kara est celui de Shirakawa qu’il ne se lasse pas de recommander à ses clients. “Non seulement il est excellent, mais il est fabriqué par les quelques rares producteurs qui cherchent à attirer une clientèle étrangère”, explique-t-il. “La plupart des producteurs de thé locaux ne se soucient que du marché japonais, mais ceux de Shirakawa cherchent à faire passer leur message, allant même jusqu’à traduire des explications détaillées sur les propriétés de leur thé dans d’autres langues.”
Stéphane Danton arrive enfin. Une véritable pile humaine qui ne peut jamais rester en place, il tourne autour de la boutique pour vérifier que tout va bien. Il a une réunion sur Skype dans quinze minutes, mais nous accorde gentiment quelques instants. “Je me fournis auprès de sept petits agriculteurs répartis dans tout le pays”, raconte-t-il. “Le thé du nord, par exemple celui qui vient de Saitama ou de Gifu, est plus amer que celui du sud, principalement de la préfecture de Kagoshima, bien plus doux. Je ne m’adresse pas aux grands producteurs, comme ceux de Shizuoka, parce qu’ils ont des méthodes très strictes et je tiens à faire les choses à ma façon. Je préfère explorer le marché et découvrir de nouvelles possibilités. C’est exactement la même approche que j’avais dans le passé avec le vin, quand je travaillais en tant que sommelier. Je veux en savoir le plus possible sur le thé que je vends : Qui sont les agriculteurs ? Quelle est l’histoire derrière chaque thé ? Mes connaissances sur le thé ne proviennent pas de livres, mais de mon contact direct avec les producteurs”.
Être vendeur de thé – en particulier si l’on est étranger au Japon – n’est pas chose aisée, en raison de la nature du marché et de la fermeture qui l’entoure. Mais l’histoire d’amour que Stéphane Danton entretient avec le thé n’a jamais rien eu à voir avec l’argent. “J’aurais pu avoir une vie beaucoup plus facile si j’avais continué dans le vin”, assure-t-il. “Si j’avais ouvert un bar à vin ici, je roulerais sur l’or. Mais j’ai senti une forte attirance pour le thé, et j’ai donc suivi mon instinct.”
Après avoir ouvert son magasin, il y a 11 ans, à Kichijôji, il a accepté la proposition de le délocaliser dans le centre de Tôkyô en 2014. “Le début de l’aventure a été très difficile en 2005, car personne n’avait foi en moi”, se souvient Stéphane Danton. “Beaucoup attendaient que je me casse la figure, mais comme vous le voyez, je suis toujours là. Ils trouvaient bizarre que je mélange le thé vert avec des saveurs différentes. Ils ne comprenaient pas que des clients étrangers sans expérience du thé vert aient du mal à l’apprécier la première fois. Le thé aromatisé, au contraire, est un bon moyen d’attirer de nouveaux amateurs. Ils commencent par mes mélanges originaux avant de passer au thé vert pur de haute qualité.”
Benoît Kara explique qu’il, a suivi ce processus. Quand il a rencontré Stéphane Danton en tant que client, il ne jurait que par le thé aromatisé (le choco-menthe étant son préféré), mais il a ensuite évolué vers le thé vert. “Maintenant, je ne bois du thé aromatisé que pour le fun”, dit-il. “Pour moi maintenant, seul le thé vert régulier a de la valeur. Beaucoup de gens ne peuvent pas commencer la journée sans une tasse de café le matin. Pour moi, c’est le thé vert.”
La prochaine étape de Stéphane Danton est d’étendre ses activités à l’étranger. En octobre dernier, il a ouvert une succursale à Singapour. “Là-bas, ils sont toujours à la recherche de nouveauté alors qu’au Japon, après 11 ans, même si tout le monde me connaît, j’ai encore des problèmes avec l’industrie locale. C’est un monde fermé. Mais je ne travaille pas pour lui. Je travaille pour mes clients et aussi longtemps qu’ils sont satisfaits, tout va bien.”
Jean Derome
Infos pratiques
Ocharaka Coredo Muromachi, 2-2-1 Nihonbashi Muromachi, Chûô-ku, Tôkyô 103-022 –
tél. 03-6262-1505 – www.ocharaka.co.jp
Sortie A6 à la station Mitsukoshimae sur la ligne de métro Ginza.