Amoureux du thé vert, Sakurai Shin’ya invite ses clients à redécouvrir la profondeur culturelle de cette boisson.
Il n’est pas évident d’être un élément culturel traditionnel au Japon de nos jours. Prenez le sumo, par exemple. Même si on le présente encore comme le sport national, il y a longtemps qu’il a été supplanté dans le cœur du public par le baseball et le football. On peut dire la même chose du thé vert. Pour beaucoup d’Occidentaux, il reste la boisson nationale (sans alcool) en tant que complément indispensable de la cuisine japonaise mais, comme le sumo, il a été remplacé par des produits venus de l’étranger : le thé anglais et le café. On trouve des cafés et des salons de thé à chaque coin de rue. En revanche, découvrir un lieu spécialisé dans le thé japonais relève de la gageure. Heureusement pour les amateurs de ryokucha, le maître de thé Sakurai Shin’ya a récemment transféré sa boutique Souen dans le centre de Tôkyô, à Minami Aoyama, le quartier tendance de la capitale et Zoom Japon est allé à la découverte de ce nouvel emplacement.
Après avoir été barman, Sakurai Shin’ya est tombé sous le charme du thé en devenant responsable du magasin de thé Higashiya (voir p. 16) et du restaurant Yakumo Saryo, tous deux créés par le designer Ogata Shin’ichirô. “En plus d’apprendre la cuisine et la pâtisserie japonaises, j’ai appris à connaître de nombreuses sortes de thé”, explique-t-il. “J’ai été étonné par la profondeur et la variété des saveurs et j’ai commencé à apprécier le travail acharné et patient qu’exige cette tradition. Il m’a fallu 12 ans pour maîtriser l’art de préparer du thé.”
En 2014, il a décidé de se lancer en solo et a ouvert Souen à Nishi Azabu, avant de déménager à Minami Aoyama en juillet. Au cours de ces années, Sakurai Shin’ya a développé ce que l’on peut considérer comme une cérémonie du thé des temps modernes. Son modèle d’inspiration est Baisao, un moine bouddhiste de la période Edo qui est devenu célèbre pour avoir popularisé le thé vert et avoir démocratisé la cérémonie du thé qui restait le privilège de l’aristocratie. Au cours de ce processus, il a remplacé le matcha (thé vert en poudre) par le sencha (feuilles de thé entières).
Suivant les principes révolutionnaires de Baisao, Sakurai Shin’ya n’opère pas sur des tatamis. Il travaille derrière un comptoir et prépare le thé en mêlant gestes traditionnels et mouvements de barman. Il vérifie d’abord la température de l’eau avant de la verser d’une tasse à l’autre pour la refroidir. En procédant ainsi, il obtient la température idéale pour préparer notre thé : le gyokuro. “Perle de rosée” si on traduit son nom en français est un des thés verts japonais les plus hauts de gamme. A la différence d’un sencha ordinaire, le gyokuro. “Perle de rosée” est un thé de pénombre, ce qui lui donne une saveur raffinée unique. Il est moins amer que le thé cultivé en pleine lumière et possède un degré élevé d’umami. Sakurai Shin’ya réalise trois infusions différentes, chacune un peu moins infusée que la précédente. Il sert la troisième comme un cocktail glacé (son expérience de barman revient au galop) avec une infusion de shiso et de lime. Chez Souen, on peut aussi essayer des boissons plus fortes telles que le thé infusé au rhum et à la vodka, une spécialité de Sakurai Shin’ya.
“A Souen, j’innove en m’appuyant sur la tradition japonaise du thé et je sensibilise un maximum de personnes à cette boisson”, assure-t-il. “L’autre nom de Souen est Sakurai Baisen Kenkyûjo qui signifie littéralement “le laboratoire de thé grillé de Sakurai”. La traduction anglaise qu’il a choisie est plus raffinée : Sakurai Japanese Tea Experience. “Nous nous sommes spécialisés dans le hôjicha (thé grillé), mais avec une valeur ajoutée. Nous torréfions nous-mêmes le thé, un peu comme le café, puis nous ajoutons des herbes et des fruits japonais comme le yuzu, le sansho (poivre japonais) et le shiso afin d’y adjoindre une note distincte des quatre saisons du Japon”, explique-t-il.
Le hôjicha est une boisson simple, sans prétention, mais c’est un thé très adaptable. Sakurai Shin’ya sait parfaitement exploiter ses caractéristiques grâce à une torréfaction variable et différentes quantités de feuilles et de tiges. L’un des résultats les plus intéressants est le hôjicha tencha kuki (hôjicha fait avec des tiges de tencha). Les feuilles de tencha qu’on utilise en général pour faire du matcha sont torréfiées avant d’être soigneusement brassées à une température relativement faible, ce qui produit un thé d’une douceur unique.
Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi de consacrer sa vie au thé japonais, Sakurai Shin’ya explique que la préparation du thé est un élément important de la culture japonaise et il veut en faire profiter les autres. “Boire du thé est quelque chose que les Japonais considèrent comme un acquis parce qu’il s’agit pour eux d’une expérience quotidienne. Nous grandissons en regardant notre mère le préparer, mais nous n’en comprenons pas vraiment les nuances culturelles. Ce n’est que lorsque vous commencez à vous y plonger que vous découvrez son histoire et les différentes façons de le préparer. Par exemple, selon la température de l’eau et les différentes façons de la verser dans la théière, vous obtenez des goûts très différents. Aujourd’hui, vous pouvez trouver le thé sous différentes formes, y compris dans des bouteilles en plastique vendues dans les supermarchés et les magasins de proximité, mais la méthode de base pour le préparer n’a pas changé. Mon premier objectif est d’éduquer les gens sur ce qui fait vraiment un bon thé. Ensuite, s’ils sont intéressés, je tiens à leur montrer les ustensiles qu’ils peuvent utiliser pour faire un bon thé, et comment choisir leurs marques préférées”, ajoute-t-il.
Voici donc ses conseils pour profiter au mieux de sa tasse de thé :
– Lorsque vous achetez du thé, dans l’idéal, vous devez l’utiliser dans les deux semaines après ouverture du paquet, un mois tout au plus. Les feuilles de thé sont très sensibles à la lumière et à la chaleur, de sorte que vous devez les mettre dans une boîte hermétique et les conserver dans un endroit frais et sombre. Les feuilles de thé absorbent d’autres arômes aussi. Evitez de les conserver à côté de produits qui dégagent une forte odeur.
– Il existe de nombreux types de thé et leurs différences se renforcent en fonction de leur zone de production. Cela dit, il n’y a pas de règles pour le choix d’une variété par rapport à une autre. Cela dépend principalement de votre goût personnel. Lorsque vous êtes dans le doute, expliquez au vendeur quels sont vos préférences et votre budget pour qu’il vous aide à choisir ce qui convient le mieux. Si, par exemple, vous souhaitez marier votre thé avec de la nourriture, de manière générale, le thé vert accompagne très bien les hors-d’œuvre tandis que le bancha (une variété ordinaire de thé) s’accommode mieux avec un plat principal de viande ou à base de poisson.
– Un même thé aura un goût différent selon la façon dont vous le préparez, en particulier au niveau de la température de l’eau. Une eau très chaude (environ 90 degrés) fait ressortir davantage l’amertume de votre thé. C’est idéal si vous avez besoin de quelque chose de fort le matin. Donc, si vous souhaitez, un goût moins prononcé, il convient de garder la température de l’eau autour de 70 à 80 degrés.
J. D.
Infos pratiques
Sakurai Baisen Kenkyûjo 5F Spiral Bldg. 5-6-23 Minami Aoyama, Minato-ku, Tôkyô 107-0062 – tél. 03-6451-1539 – www.sakurai-tea.jp –
Du lundi au vendredi, de 11h à 23h.
Sortie B1 à la station d’Omotesandô.