Pour réviser la Constitution, il est indispensable de disposer de la majorité des deux-tiers au sein de la Diète. Pensez-vous que le danger d’une révision constitutionnelle est bien réel ?
N. K. : C’est possible, mais ce n’est pas certain. Après des années de campagnes menées par ces individus, y compris avec le soutien d’organisations médiatiques, de nombreux Japonais – parfois même une majorité d’entre eux – estiment que ce serait une bonne chose de changer la Constitution quand on leur pose la question dans des sondages. Mais il s’agit là d’une sorte d’astuce parce que, pendant la majeure partie de la période d’après-guerre, le débat politique sur la révision a presque exclusivement porté sur l’article 9 (qui interdit la guerre comme moyen de régler les différends internationaux). Or, cet article est extrêmement difficile à changer parce que la plupart des Japonais sont en fait très attachés aux idéaux pacifistes qu’il incarne. Les révisionnistes ont donc adopté une approche différente, parlant plutôt d’autres changements constitutionnels (liés à l’environnement, etc.) et les utilisant comme une sorte de cheval de Troie. Donc, quand on demande aux gens s’ils sont d’accord avec une modification de la Constitution, cela ressemble à une question générale. Mais en réalité, il n’y a aucun consensus sur ce qui devrait être réellement changé. Lorsque vous voyez les titres dans les journaux, il semble que les gens veulent réviser l’article 9, ce qui n’est pas le cas parce que la majorité s’y oppose encore. Pourtant, le Parti libéral-démocrate (actuellement au pouvoir et dirigé par Abe Shinzô) a déjà rédigé une nouvelle Loi suprême. C’est une chose très effrayante parce qu’elle va à l’encontre de l’idée du constitutionnalisme et essaie d’affaiblir la Déclaration des droits du Japon.
Un référendum est donc nécessaire pour réviser la Constitution. La Nippon Kaigi affirme qu’elle incarne les valeurs traditionnelles des citoyens, mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas autant de personnes qui partagent actuellement ces valeurs conservatrices, en particulier chez les plus jeunes.
N. K. : On peut aussi ajouter qu’ils ne manifestent pas beaucoup d’intérêt pour la politique. Depuis l’année dernière, l’âge du vote a été abaissé à 18 ans contre 20 ans précédemment, mais leur taux de participation aux élections a été très faible. Après tout, ils ont été découragés à s’intéresser et à participer à la politique. Il est pratiquement interdit d’aborder les sujets politiques à l’école. On apprend aux enfants à être des sujets apolitiques et obéissants. Aussi l’idée selon laquelle, à l’âge de 18 ans, vous devenez tout d’un coup un être intéressé par la politique est totalement absurde.
La Nippon Kaigi et de façon générale, la vieille garde politique sont souvent accusées de sexisme. Qu’en pensez-vous ?
N. K. : C’est tout à fait vrai. Il y a une idée que les femmes sont des citoyens de deuxième classe et que leur rôle dans la famille et dans la société doit être subordonné à celui de l’homme. En d’autres termes, le modèle patriarcal du système impérial est la référence à laquelle il faut se tenir et dont il ne faut pas dévier. L’idée d’une femme pouvant choisir librement va à l’encontre du principe de la femme modèle/de la mère exemplaire en vigueur avant la Seconde Guerre mondiale. D’ailleurs, au niveau politique, il suffit de regarder le nombre d’élues au Parlement pour voir que le Japon se situe dans les profondeurs des classements mondiaux. Au niveau de la Chambre des représentants, on est à moins de 10 % de femmes.
Pourtant, il est intéressant de noter qu’une des figures prédominantes de la Nippon Kaigi est une femme. Il s’agit d’Inada Tomomi, l’actuelle ministre de la Défense, qui a été présidente du Conseil de recherche politique du Parti libéral-démocrate. On évoque souvent son nom pour succéder à Abe Shinzô à la tête du parti.
N. K. : Elle est un peu comme Margaret Thatcher. Elle devait devenir la seule femme “qui en a” au sein du gouvernement. Pour réussir au sein du Parti libéral-démocrate, elle devait s’adapter et intérioriser le comportement masculin. De son côté, Abe Shinzô ne voulait pas être accusé d’être misogyne ou de faire du sexisme. C’est pour cela qu’il montre son engagement à promouvoir les droits des femmes. Pourtant, le groupe de conseillers constitués de 100 personnes pour améliorer les conditions des femmes au Japon ne comporte aucune représentante de la gente féminine. Ça ressemble à une farce. Ça pourrait être risible s’il ne s’agissait pas d’un sujet sérieux. C’est seulement le jour où la représentation féminine au sein du Parlement atteindra 30 à 40 % que les femmes pourront être elles-mêmes sans avoir à copier le comportement des hommes.
Au début des années 1980, il y a eu de nombreux affrontements entre conservateurs et progressistes sur la question des manuels d’histoire. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
N. K. : Le conflit est toujours en cours, mais il semble que les révisionnistes aient atteint un obstacle. S’ils ont la possibilité de publier leurs propres manuels, ils ne sont pas parvenus à les faire adopter dans les écoles. Il y a en effet très peu d’établissements scolaires qui ont choisi de suivre leur vision de l’histoire. Mais avec le retour d’Abe Shinzô au pouvoir, on assiste à un redoublement d’efforts pour modifier la façon dont les manuels scolaires sont contrôlés. De façon pratique, les manuels existants sont modifiés en silence dans le but de les rendre plus compatibles avec la politique du gouvernement actuel.
Propos recueillis par Jean Derome