Pour faire avancer ses idées, la Nippon Kaigi a pu compter sur l’aide du célèbre mangaka Kobayashi Yoshinori.
Au cours de ses nombreuses tentatives pour modifier l’attitude des gens à l’égard de l’histoire et de la Constitution de l’après-guerre, la Nippon Kaigi a trouvé des soutiens puissants de la part de certains. Parmi eux, Kobayashi Yoshinori est un des plus actifs. Auteur de plus de deux cents livres et mangas, il a fait ses débuts de mangaka au milieu des années 1970 en satirisant le système éducatif japonais, puis dans la décennie suivante, il s’en est pris aux privilèges sociaux pendant la bulle économique.
Son nom s’est imposé aux oreilles du grand public dans les années 1990 quand il a commencé à publier sa série baptisée Gômanism Sengen [Déclaration d’arrogance]. Utilisant son penchant pour la controverse, il s’est lancé dans une campagne en faveur d’une révision conservatrice de l’histoire japonaise du XXe siècle.
Sensô-ron [De la guerre, 1998, inédit en français] est l’un des ouvrages marquants de cette poussée nationaliste croissante. Kobayashi l’a conçu comme “quelque chose que les intellectuels ne peuvent pas écrire, quelque chose que les jeunes vont apprécier de lire et intégrer complètement dans leur vie.” Sa technique bien rodée qu’il a systématiquement utilisée dans sa série repose sur un personnage qui lui ressemble et qui symbolise le citoyen lambda. Il utilise la logique et le bon sens pour confondre plusieurs questions liées à la Seconde Guerre mondiale mettant en évidence certaines faiblesses de la conception acceptée de l’histoire. Parmi les événements auxquels il s’attaque, on peut citer les “femmes de réconfort” (contraintes à l’esclavage sexuel par l’armée impériale), le massacre de Nankin et la guerre d’agression en Asie. Le problème avec Sensô-ron est que le mangaka ne choisit que les éléments qui soutiennent ses opinions, ignorant ce qui peut les contredire. Son habile mélange de culture pop (manga), d’anti-système et d’analyses faussement scientifiques lui a valu de nombreux admirateurs.
Il a rejoint la Société japonaise pour la réforme des manuels d’histoire (Tsukurukai), un groupe de professeurs conservateurs et d’autres savants qui, à la fin des années 1990, a gagné un large soutien de la part de la Nippon Kaigi. L’association a tout d’abord essayé de faire pression sur le ministère de l’Éducation pour que toute référence aux femmes de réconfort soit supprimée des manuels scolaires. Elle a ensuite décidé de publier son propre manuel. En 2001, le ministère de l’Éducation a autorisé son manuel et de nombreux politiciens appartenant au Parti libéral-démocrate (PLD) ont exercé des pressions sur les conseils locaux d’éducation pour que le manuel soit adopté avec un succès très mitigé. Cette défaite a poussé Kobayashi à quitter le groupe pour se concentrer sur un nouveau projet : un magazine trimestriel appelé Washism [Le Moi-ïsme] dans lequel il a continué ses attaques.
En 2010, il a montré sa relation complexe avec l’establishment conservateur quand il a interviewé Abe Shinzô, alors chef de l’opposition, pour une collection intitulée Kibô no kuni Nippon [Japon, pays d’espoir, inédite en français]. Dans cet entretien, les deux hommes s’accordent pour dire que les valeurs morales du Japon avant guerre ont été détruites par l’occupation américaine et que le système des femmes de réconfort (une véritable obsession pour la droite politique) a été pratiqué par tous les participants à la Seconde Guerre mondiale.
Au cours des dernières années, en particulier depuis qu’Abe a entamé sa deuxième carrière de Premier ministre, le mangaka s’est montré de plus en plus critique envers le gouvernement, soulignant une attitude plus ambivalente (certains diront ambiguë) envers le conservatisme. En 2013, en particulier, il a exprimé son opposition au projet de loi sur le secret d’Etat en première page de l’Asahi Shimbun. Un choix très surprenant, car le journal libéral est traditionnellement l’une des cibles favorites des conservateurs. La nouvelle position idéologique de Kobayashi a été confirmée lors d’une conférence de presse organisée en août 2015 au Club des correspondants étrangers à Tôkyô. A cette occasion, Kobayashi a commencé par dire que les gens le considèrent comme un conservateur, et il en est un dans la mesure où il croit à la sauvegarde de l’identité japonaise. Mais certaines de ses opinions ont changé à la suite du débat concernant la loi sur la sécurité. “Je pense fermement que la constitution japonaise devrait être révisée pour permettre aux soi-disant Forces d’autodéfense de devenir une force militaire”, a-t-il déclaré. “Cependant, je suis en désaccord avec tous les conservateurs qui défendent la relation de subordination du Japon aux États-Unis”. Il a donné comme exemple la guerre en Irak. “Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’une guerre d’agression et que l’intervention était une erreur. Mais le Premier ministre Abe et l’ensemble de l’establishment conservateur japonais continuent à le nier. Ils ne veulent pas dire qu’il était erroné de suivre l’Amérique dans cette guerre, car le Japon doit toujours suivre la politique étrangère américaine.” »
Lorsqu’on lui a demandé si, à son avis, la Grande Guerre de l’Asie de l’Est (c’est-à-dire la guerre en Asie-Pacifique) était une guerre d’agression, il a répondu que lorsque le Japon a envahi la Chine en 1937, c’était évidemment une guerre d’agression. Mais pour comprendre ce qui est arrivé, nous devons examiner l’ensemble de la séquence. “En 1853, le commodore Perry est arrivé au Japon et a forcé le gouvernement à accepter des traités inégaux avec les États-Unis et d’autres pays occidentaux”, a-t-il expliqué. “Le Japon a été soudainement propulsé dans l’ère de l’impérialisme et a été forcé de devenir une puissance coloniale lui-même pour survivre et être traité comme un égal. Nous avons gagné à la fois la guerre sino-japonaise et la guerre russo-japonaise. En conséquence, le citoyen a commencé à respecter ses chefs militaires et a échoué à mettre sa politique étrangère en échec. Cela dit, je pense que le Japon s’est trouvé dans une telle situation qu’il n’avait pas d’autre choix que de lutter contre les États-Unis. Après tout, le Japon aurait voulu rester isolé du reste du monde. Il a été obligé de s’ouvrir, ce qui a mis en mouvement un processus qui a culminé avec la guerre contre les États-Unis. Vous pouvez dire que c’était notre destin.”
Kobayashi Yoshinori semble être un homme à la croisée des chemins, qui essaie de retrouver un peu de son charisme perdu en se repositionnant sur des lignes un peu plus libérales sans renoncer pour autant à sa marque de fabrique : le patriotisme de droite.
J. D.