Pour éviter de disparaître, plusieurs entreprises se sont réunies pour construire un bobsleigh.
Les brochures touristiques recourent souvent au terme shitamachi (littéralement la ville basse) pour évoquer les quartiers populaires d’Asakusa ou de Nihonbashi. Cependant ce qu’on y trouve le plus souvent de nos jours sont des boutiques de souvenirs. Pour rencontrer la vraie shitamachi, il faut traverser la rivière Sumida et explorer les quartiers orientaux de Tôkyô, ou aller plus au sud à la limite de la préfecture de Kanagawa. C’est là que se trouve l’arrondissement d’Ôta, le plus grand de la capitale par la taille et le troisième par la population. Ici, les sites touristiques sont rares. Cet arrondissement est surtout connu pour son industrie manufacturière et pour avoir la plus grande concentration de machikôba de Tôkyô.
La tradition manufacturière d’Ôta remonte à environ un siècle, lorsque les pêcheurs locaux ont appris à fabriquer des pièces métalliques pour le chantier naval de la Marine impériale aujourd’hui disparu. Cependant, ce n’est que dans les années 1950 que le paysage actuel du quartier a commencé à prendre forme, avec des centaines, puis des milliers d’usines et d’ateliers qui sont apparus grâce à la croissance et ont perduré grâce à leur expertise technique et leur obsession du détail. Malheureusement, cela s’est brusquement interrompu au début des années 1990 à la suite de la détérioration de l’économie. Les entreprises locales ont subi un nouveau coup dur avec la crise financière de 2008 et la catastrophe nucléaire de 2011 à Fukushima, qui ont incité les grandes entreprises à sous-traiter leurs productions à l’étranger pour des raisons de coûts. En conséquence, ils restent moins de 4 000 usines sur les 10 000 qui existaient dans les années 1980. Comme dit le dicton, “A situation désespérée, mesure désespérée”. C’est ce qu’un groupe de machikôba entreprenant a dû penser quand ses membres ont décidé de se lancer dans un projet audacieux et étrange pour redresser le moral et promouvoir la construction d’un bobsleigh pour redresser le moral dans le monde de l’industrie locale d’Ota.
Un bobsleigh est l’équivalent d’une Formule 1 sur glace. Sa construction nécessite de nombreuses connaissances techniques spécialisées. Le genre d’expertise qui se forge après des années d’expérience, d’essais et d’erreurs. Actuellement, les constructeurs de bobsleigh les plus respectés sont implantés en Europe, parmi lesquels on trouve BMW ou Ferrari. Comme l’a répété à plusieurs reprises au cours des cinq dernières années, Hosogai Shun’ichi, président du projet Shitamachi Bobsleigh Project (SBP), “depuis 25 ans, l’économie japonaise a perdu de son dynamisme en raison de la hausse du coût de la main-d’œuvre et d’autres problèmes. Dans ma société Material Co., Ltd, nous avons eu la chance d’éviter ces problèmes parce que nous avons développé un savoir-faire technique qui nous a permis de travailler pour l’aviation et la défense. Nous avons cherché de nouvelles façons d’améliorer notre image, en particulier à l’étranger. Un jour de 2011, un fonctionnaire de l’arrondissement est venu me proposer l’idée de construire un bobsleigh.” Kosugi Satoshi avait entendu dire que l’équipe nationale japonaise n’avait jamais utilisé de bobsleigh fabriqué au Japon. Pourtant, le matériel étranger était un peu trop grand pour les athlètes japonais et le manque de techniciens japonais ne permettait pas de résoudre ce problème.
“Comme les bobsleighs ne sont pas équipés de moteurs, je me suis dit que c’était une excellente occasion d’utiliser notre savoir-faire pour développer un nouveau produit en coopération avec d’autres machikôba du quartier sans avoir à demander de l’aide à une grande entreprise”, se souvient Hosogai Shun’ichi. “Le problème, c’est que personne n’avait jamais construit de bobsleigh au Japon.”