Que diriez-vous de la relation parents-enfants dans le film ?
F. K. : Au Japon, il existe l’expression “Ko wa kasugai”, ce qui signifie que les enfants sont un lien entre mari et femme. En effet, la fille de ce film est le ciment qui réunit l’ensemble de la famille. Ses parents ont atteint un point où ils n’ont plus rien à se dire. S’ils étaient juste tous les deux, ils divorceraient certainement, mais ils ont décidé de rester ensemble uniquement pour le bien de leur enfant. Encore une fois, c’est une situation très typique au Japon, surtout lorsque les enfants sont encore très jeunes. C’est pourquoi, lorsque les enfants quittent la maison, les parents se rendent soudain compte qu’ils sont devenus étrangers l’un pour l’autre.
À en juger par votre film, on a l’impression que vous ne trouvez pas que la famille soit un environnement très chaleureux.
F. K. : Vous avez raison. C’est précisément mon principal message, même plus important que la réflexion sur la violence. Je crois que chacun d’entre nous est fondamentalement seul dans ce monde. Parce que vivre dans cet état de solitude est extrêmement difficile, nous recherchons tous un soutien. Cela peut être dans une relation amicale, la famille ou la religion comme je l’ai montré dans le film. Certaines personnes parviennent réellement à oublier le sentiment d’isolement existentiel qui fait partie de la condition humaine et sont capables de mener une vie heureuse. Cependant, il y a des moments où un événement particulier brise cette illusion et l’on se retrouve confronté à son isolement. Nous pouvons être mariés, avoir des enfants, etc., mais finalement, nous sommes seuls.
Votre film a été réalisé avec un petit budget et j’ai entendu dire que vous n’avez pas consacré beaucoup de temps aux répétitions en raison de restrictions financières.
F. K. : Oui, c’est certainement un film à petit budget. Non seulement comparé aux films européens, où les réalisateurs ont généralement beaucoup plus d’argent à dépenser, mais même par rapport à d’autres productions japonaises.
Il est donc encore difficile de faire des films à partir de ce genre d’histoires ?
F. K. : C’est vraiment très difficile. Mon film, par exemple, est une histoire originale puisqu’il n’est pas inspiré d’un téléfilm populaire ou d’un manga ayant une intrigue compliquée. Ce n’est pas une histoire romantique ni une comédie légère, ce qui a rendu son soutien financier encore plus difficile. J’ai fait des films au cours des dix dernières années et les conditions dans lesquelles je travaille se sont progressivement améliorées parce que mes films ont été relativement réussis, mais en général, je pense que faire des films au Japon est devenu plus difficile pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les DVD ne se vendent plus, ce qui affecte fortement nos revenus. En outre, les grandes entreprises comme la Tôhô ont la mainmise sur le marché intérieur, ce qui rend très difficile la survie de réalisateurs indépendants comme moi. Habituellement, c’est l’État qui devrait soutenir les petits producteurs indépendants, mais au Japon, cela n’existe pas. Nous n’avons même pas d’organisme comme le CNC en France qui devrait être responsable pour négocier les subventions et promouvoir des productions plus petites et non commerciales. Au Japon, nous n’avons que l’Agence pour les affaires culturelles qui dispose d’un ridicule budget de 2 milliards de yens. Le KOFIC de la Corée du Sud, en comparaison, peut compter sur 40 milliards et le CNC sur 80 milliards. L’initiative Cool Japan dispose d’une réserve de 20 milliards, mais ils doivent être partagés entre tous les types de projets culturels allant de l’anime à l’artisanat en passant par la promotion culinaire. Le vrai problème est que, au Japon, le cinéma n’est toujours pas considéré comme une industrie. En tant que tel, seul ce qui est sûr de rapporter, c’est-à-dire les blockbusters commerciaux, reçoit un soutien financier. Nous devrions changer l’ensemble du système, mais bien sûr, une telle chose est très difficile à accomplir.
Propos recueillis par J. D.