En tant que présidente de l’association Sahara-Eliki*, j’ai eu l’occasion d’accueillir à plusieurs reprises des Touaregs au Japon. Les réactions étaient toujours extraordinaires, à la mesure des milliers de kilomètres qui séparent le Sahara de l’archipel nippon. Je me souviens d’une troupe de musiciens du sud algérien qui n’avait jamais voyagé en avion. Ils avaient transité par l’Europe et traversé la Sibérie. Epuisés, ils étaient arrivés à l’aéroport de Narita dans leur boubou bazin, les hommes enturbannés dans des chechs de 10 mètres, les femmes drapées de cotonnades dans une chaleur estivale de 35 degrés avec 90 % d’humidité. Lorsque je leur avais demandé si le vol s’était bien passé, Mohamed, un forgeron de Tamanrasset, s’était écrié : “J’ai passé tout le vol le visage collé au hublot ! J’avais peur que le pilote se perde”. Il était “guidé” par un inconnu, une chose impensable dans le désert !
Les Japonais qui partaient dans le désert étaient pour leur part obsédés par les toilettes. C’était une question primordiale à leurs yeux, ils ne pouvaient pas imaginer un environnement sans toilettes car dans leur pays, même en pleine montagne, on trouve des WC. Mais une fois arrivés, ils montraient une capacité d’adaptation étonnante et oubliaient très vite leur confort. Ce qui les fascinait c’était justement la capacité des Touaregs à s’orienter au milieu de rien, sans instructions et sans machine. Le Sahara et Tôkyô ce sont les deux extrêmes, le silence et le bruit, la solitude et la masse, la sécheresse et l’humidité. “Le Japon, c’est l’autre côté de la lune”, résume Ousmane Ag Mossa, le leader du groupe touareg Tamikrest originaire du nord Mali venu jouer au Japon en mai dernier. Empruntant la nouvelle liaison de la compagnie Ethiopian Airlines (voir p. 11), il a quitté Bamako, transité à Addis Abeba, avant d’arriver à Tôkyô après une brève escale à Hongkong. Un voyage de 25 heures, le plus long de sa carrière. “Les Touaregs s’imaginent qu’ils vont trouver des 4×4 Toyota partout, car c’est l’image que nous avons du Japon”, dit-il en faisant référence aux vieux land cruisers FG 60 et pick-ups increvables qui ont fini transformés en char d’assaut pendant les rébellions. “Mais la technologie de ce pays est ailleurs. J’ai découvert l’art des artisans “shokunin” en réparant ma guitare Gibson dans un petit atelier de la capitale. J’ai été stupéfait par la qualité de ce travail si soigné.” Il a été encore plus surpris de découvrir pour la première fois le monde de ses ancêtres caravaniers en plein Tôkyô dans une salle remplie de Japonais lors de la projection du documentaire Caravan to the future produit par Sahara-Eliki. “Je ne sais pas pour eux mais pour moi, ça a été un sacré choc culturel !”
Alissa Descotes-Toyosaki
*L’association Sahara-Eliki établit un pont culturel entre le Japon et le Sahara depuis 2006. Elle a notamment produit, en 2016, le documentaire Caravan to the future réalisé par Alissa Descotes-Toyosaki.