Vous avez peut-être commencé en tant qu’auteur mineur, mais vous êtes rapidement devenu un best-seller, grâce à Yawara!.
U. N. : Yawara! était pourtant au départ une sorte d’expérience. Je voulais voir quelles caractéristiques devaient posséder un manga pour devenir un succès. J’ai donc introduit un élément comique, qui était absent dans mes premières histoires, et j’ai décidé d’avoir un personnage féminin. Avant cela, je n’en avais jamais dessiné, mais j’ai compris que choisir une jolie fille rendrait ma bande dessinée plus attrayante pour le grand public. Dans un certain sens, Yawara! peut être considéré comme une sorte d’essai critique du manga sous forme dessinée. Cependant, beaucoup de gens ont pensé que je cherchais vraiment la célébrité et le succès. Bien sûr, tout le monde veut réussir dans ce qu’il entreprend, mais pour moi ce n’était pas seulement ça. Après tout, à la même période, je publiais Pineapple Army (éd. Glénat) et Master Keaton (éd. Kana) qui étaient tout sauf des histoires grand public. Quoi qu’il en soit, Yawara ! constitue une étape importante pour moi dans mon apprentissage en tant qu’artiste, et quand le premier volume a franchi la barre du million d’exemplaires vendus, j’ai réalisé que mes histoires pouvaient être populaires sans que je remette en cause mes conceptions.
Ah, c’était donc intentionnel.
U. N. : Bien sûr. Vous pouvez comparer Yawara! à un feuilleton télévisé tandis que mes autres travaux sont plus proches de la réalisation d’un long-métrage. J’aime les deux approches et je n’ai aucun problème à utiliser tel ou tel style, mais beaucoup de gens aiment coller une étiquette sur votre travail pour dire que vous êtes “majeur” ou “mineur”, “commercial” ou “haut de gamme”. Je pense que la même personne peut vouloir faire des choses différentes. Pas mal de gens se demandaient comment un auteur indépendant comme Urasawa avait fini par se retrouver dans un magazine grand public comme Big Comic. C’est un peu comme si une compagnie de théâtre d’avant-garde se produisait à la Comédie française ! Il est vrai que par le passé il existait des barrières presque infranchissables. J’ai peut-être été la première personne à avoir mélangé les choses, et mes expériences ont provoqué une étrange réaction chimique. Depuis lors, j’ai toujours essayé d’appliquer mon propre point de vue subjectif. Ce n’est pas un hasard si, quelques années plus tard, 20th Century Boys a si bien été reçu. Il m’a fallu des années pour faire en sorte que les thèmes jugés pointus puissent être acceptés par le plus grand nombre et atteindre ce résultat.
Vous avez mentionné plus tôt votre respect pour Tezuka Osamu qui est honoré, comme vous, à Angoulême cette année. En 2003, vous êtes allé jusqu’à baser une de vos œuvres, Pluto (éd. Kana), sur l’art narratif Chijô saidai no robotto [Le plus puissant robot du monde] du manga Astro le petit robot de Tezuka . Qu’est-ce qui vous a amené à le faire ?
U. N. : Cette histoire était sortie quand j’avais quatre ou cinq ans. Ce n’est pas un manga typique où le bien triomphe du mal. J’avais l’habitude de lire ce genre d’histoires, où le héros se bat et punit les méchants pour leurs méfaits. Donc, ce manga m’a pris par surprise. C’était complètement inattendu. Ce fut apparemment la réaction générale à l’époque. Devenu adulte, je me suis demandé ce qui rendait cette histoire si différente et pourquoi je m’étais senti si dérangé quand je l’avais lu gamin. J’ai alors compris que ces mangas, bien qu’ils soient publiés dans des magazines pour enfants, n’étaient pas seulement conçus pour les petits enfants. Ils allaient en réalité beaucoup plus loin et abordaient des sujets pour les adultes. En tout cas, Chijô saidai no robotto a été asurément une histoire déterminante pour ma génération.
A cette époque, vous dessiniez déjà des bandes dessinées, n’est-ce pas ?
U. N. : Oui, j’avais l’habitude de copier le style de Tezuka et de signer mes dessins sous son nom !
J’ai entendu qu’il a fallu un certain temps pour convaincre Makoto, le fils de Tezuka, de vous laisser reprendre la bande dessinée de son père.
U. N. : En fait, il n’a jamais été question de convaincre. Quand j’ai eu cette idée, j’ai dessiné un projet que j’ai adressé à Tezuka Productions. Puis je l’ai rapidement oublié parce que, pour vous dire la vérité, je pensais que je ne serais jamais en mesure de publier cette histoire. Puis, six mois plus tard, il m’a invité à déjeuner, à l’improviste. Nous avons passé un bon moment à bavarder de choses et d’autres, et à la fin du repas, il a juste dit : “Urasawa-san, onegai shimasu yo !” [Urasawa-san, s’il vous plaît, lancez-vous !]. J’étais dans la situation du type pris par surprise qui se dit : “Quoi ? Tu veux vraiment que je le fasse ?” (rires) Il voulait vraiment que je le fasse dans mon style, avec mes personnages. Même s’il a été le superviseur de la série, il m’a laissé une totale liberté.