Ancien directeur éditorial de Glénat Manga, Stéphane Ferrand nous livre son expérience.
Vous avez supervisé pendant de nombreuses années l’édition de mangas chez Glénat. Comment travailliez-vous avec les traducteurs ?
Stéphane Ferrand : Je n’étais pas en contact direct avec eux. Enfin, je les rencontrais, notamment au début des collaborations, afin de les connaître, mais le choix des traducteurs était le travail de Benoît Huot, mon éditeur, à qui je transmettais un “portrait” du type de traducteur que je souhaitais. Cela me permettait d’avoir toujours un œil “extérieur” sur la traduction lors du parcours de la copie. Du coup certaines choses me sautaient aux yeux plus facilement dans les phases de contrôle. Des problèmes de cohérence du texte avec l’image, de niveaux de langage, de textes manquants, d’>ambiances qui ne collent pas, etc. Pour certains titres plus techniques, je mettais en place une relecture de vérification par un spécialiste, comme pour Team Medical Dragon de Nagai Akira, ou Les Gouttes de Dieu de Agi Tadashi. Sinon, j’essayais, avec Benoît, de conserver au maximum les traducteurs dans leurs univers, ou sur les auteurs qu’ils avaient déjà traduits. Même vis-à-vis des auteurs et éditeurs japonais, il est important d’offrir de la stabilité dans la traduction.
D’un point de vue éditorial, la traduction de mangas a-t-elle des spécificités qui nécessitent une attention particulière ?
S. F. : Il y en a beaucoup. Sur le plan de l’adaptation graphique en effet, j’ai souvent été confronté depuis que j’ai commencé à éditer chez Milan, au cauchemar de la bulle verticale qui, en japonais, peut contenir un long texte, lequel pose problème dans une francophonie qui lit horizontalement. Faut-il tourner le livre ou découper les mots en une colonne de syllabes ? Certains mots ou expressions à traduire sont beaucoup plus longs aussi en français, ou nécessitent l’emploi d’une périphrase tant le fossé culturel est grand. Du coup, la place prise dans le phylactère n’est pas la même, et diminuer le corps du texte crée un déséquilibre visuel avec le corps des autres textes de la page.
Superviser la traduction du japonais sans être soi-même japonisant peut sembler difficile.
S. F. : Personnellement je n’y vois que des avantages. En premier lieu, parce que cela me met au niveau du public. Je reste comme le lecteur moyen, qui sait aimer le manga sans lire le japonais. Je sais ce qu’il attend, et ce qu’il demande comme résultat. Je lis sans aucun a priori culturel et je ne revendique pas le titre de spécialiste du Japon. Ma question n’est donc pas “ce qui sera le plus japonisant”, mais plutôt “ce qui sert au mieux le propos de l’auteur et la compréhension du public sans rompre le fil de lecture”. Pour la supervision, comme j’ai indiqué, je préfère travailler avec la base – le manga en japonais – et le résultat à savoir la traduction sans avoir le souvenir du travail qui s’est déroulé entre les deux, cela me permet d’avoir un œil neuf qui découvre globalement texte et adaptation, et donc juge globalement les deux en même temps, la justesse autant que la cohérence.
Auriez-vous une anecdote de travail amusante ou intéressante à nous raconter concernant votre expérience ?
S. F. : Jacques Glénat est connu pour être grand amateur et collectionneur de vins. C’est donc naturellement qu’il s’est emparé de la relecture-vérification des pages du titre Les Gouttes de Dieu. Un jour, une erreur s’était glissée dans le manga, mettant en scène un vin lors d’une cérémonie dans un château, lequel vin était présenté comme vin blanc. Il m’en a fait part. J’ai donc transmis une question à l’auteur pour cette petite vérification. Quelque temps après, j’ai reçu des remerciements et une question : “Est-on bien sûr que ce blanc était un rouge ?” La réponse de Jacques Glénat ne s’est pas fait attendre : “Bien entendu. J’étais présent lors de cette cérémonie et j’en ai bu”.
Propos recueillis par Frédéric Toutlemonde