Vous êtes originaire de Hokkaidô.
Ikezawa Natsuki : Je suis né un mois après la fin de la guerre sur cette île qui a longtemps été considérée et gouvernée comme une semi-colonie : il y a à peine un peu plus d’un demi siècle qu’elle a été reconnue officiellement comme un territoire japonais à part entière. Mes ancêtres étaient des fermiers qui ont quitté le “centre” du pays pour immigrer dans ce lieu situé à sa périphérie. Le fait que je sois né sur cette île colonisée n’est pas étranger à la volonté qui m’a toujours animé d’examiner le Japon en maintenant une certaine distance avec son centre. D’où mes voyages un peu partout dans le monde et, au Japon, le choix de m’installer à Okinawa ou maintenant à Hokkaidô. Le “retour” à Hokkaidô est aussi dû à mon âge : je ne suis plus très jeune et j’ai senti une attirance pour un endroit proche de ma terre natale, Obihiro. Je n’aime pas Tôkyô, mais la centralisation générale fait que je dois m’y rendre relativement souvent (pour rencontrer des éditeurs, participer à des émissions de radio ou de télévision, etc.) alors je m’organise toujours un emploi du temps me permettant de rester le moins possible dans la capitale. Du coup, mes journées sont trop remplies et je suis épuisé. Alors je rentre chez moi en me plaignant que Tôkyô est une ville éreintante… tout en étant conscient bien entendu de ma part de responsabilité…
En 2003 vous avez publié un roman sur l’installation de “colons” japonais sur l’île de Hokkaidô. C’était avant de vous y réinstaller…
I. N. : Shizuka na daichi [Terra tranquilla, non traduit en français] traite de mes ancêtres du côté maternel (mon arrière-grand-père et son frère) venus à Shizunai pour travailler dans une ferme. Depuis l’enfance j’ai toujours entendu parler de leur histoire : ce qu’on appelle la “mythologie familiale”. Quand je suis devenu romancier, j’ai rapidement eu envie d’écrire sur ce sujet, mais je ne voulais pas que mon manque de compétences me fasse rater ce roman. Finalement c’est en 2001, lorsque l’Asahi Shimbun m’a proposé de publier un roman-feuilleton que j’ai eu le sentiment qu’il était temps pour moi de me lancer dans cette écriture. Le feuilleton est paru entre juin 2001 et août 2002, le livre est sorti en librairie en septembre 2003.
Pour résumer rapidement ces 600 pages, disons qu’il s’agit de l’histoire de frères ayant émigré des îles Awaji, au sud de Kôbe, jusqu’à Hokkaidô et qui ont construit un grand ranch sur le domaine des Aïnous (voir p. 16). Le récit se situe au début de l’ère Meiji (1868-1912), il y a près d’un siècle et demi. Il concerne des gens qui, bien qu’ils n’aient pas franchi de frontière nationale, se sont installés sur ce qui était à l’époque une colonie intérieure dont le climat et la culture leur étaient complètement étrangers, et qui ont été initiés à une forme d’agriculture imitée de l’Amérique.
Ce roman semble avoir une place particulière pour vous parmi vos nombreuses œuvres. Il vous a d’ailleurs valu des prix littéraires tels que le Prix Shiba Ryôtarô en 2003 ou le Prix Shinran en 2004 qui récompensent plus un genre de travail littéraire qu’un livre en particulier.
I. N. : Il s’agit de l’histoire de mes ancêtres, c’était donc un matériau de base du roman qui m’était personnellement précieux. Et puis l’écriture a renforcé en moi le sentiment d’être un “homme de Hokkaidô”. C’était aussi la première fois que je me lançais dans ce qu’on peut appeler un roman historique : une fiction basée sur des faits historiques.
En y réfléchissant rétrospectivement, je vois une question générale dans l’ensemble de mon travail qui tourne autour de ce que les Japonais pensent et comment ils réagissent lorsqu’ils rencontrent une culture différente à l’étranger. Je m’aperçois que j’ai souvent écrit des histoires dans lesquelles je jette un(e) Japonais(e) dans une culture étrangère et décris comment il ou elle réagit. Au fond, je suis convaincu que, de tous les phénomènes qui se déroulent dans le monde d’aujourd’hui, le mouvement des populations en est un des principaux sujets dont doit traiter la littérature. Je m’intéresse fortement aux destins des gens qui sont amenés à quitter le lieu de leur naissance, devenir des immigrés, des exilés, des personnes déplacées, des réfugiés, que ce soit pour des raisons économiques ou politiques.